Bell W. 03/12/2021

Ici, ça parle « charos » et « tchoins »

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Dans le quartier de Bell, difficile d'éviter les charos, ces gros dragueurs. Difficile surtout que les filles ne soient pas jugées.

À chaque fois que je suis dans mon quartier, avec des « amies du dehors » (d’autres quartiers) de sexe féminin, je redoute de croiser d’autres jeunes de ma génération. Pourquoi ? Parce que ce sont de gros charos. Un charo, c’est quoi ? C’est un type qui « a faim de filles ».

Il faut savoir que mon quartier, le 18e arrondissement de Paris, est divisé en deux zones : l’une est conviviale, avec les enfants, les daronnes, et même quelques jeunes de ma génération ; l’autre zone est plus ghetto, avec des gens qui dealent et des prostituées qui se vendent à coté du parking, vers 22 heures.

Certaines filles de mon quartier ont une bonne réputation, c’est-à-dire qu’elles sont considérées comme des « filles bien », qui ne font pas de bails, du genre ken, sucer, ou trop traîner avec les garçons. Elles traînent parfois dehors, mais jamais du côté ghetto, par peur de se faire violer ou voler. Elles ont trop peur d’aller là-bas, avec tous les grands qui viennent d’ailleurs… Quand on était au collège, on disait à celles qui faisaient trop les malines qu’on les ramènerait dans la zone ghetto, pour leur faire peur. Les autres, qui traînent beaucoup avec les garçons et font des bails, ont une mauvaise réputation. Elles sont vues par les jeunes et grand(e)s du quartier comme des « tchoins », des salopes et des traînées.

« T’as géchan depuis que t’es en couple »

Je suis déjà sorti avec une « fille bien » de mon quartier qui était aussi avec moi au collège, et ça a duré quatre–cinq mois. Elle était française, avec des origines latinos, une blonde aux yeux bleus. C’était ma seconde copine, donc je n’avais pas l’habitude de ça. C’était assez gênant de dire à mes camarades que j’étais en couple, surtout que j’étais un peu plus timide qu’aujourd’hui. On était le couple black–white, et comme j’étais jeune, les gens de mon quartier s’en foutaient.

Dans le quartier, les sentiments romantiques sont acceptés, seulement si les autres approuvent le couple. Après, si la fille n’est pas approuvée et a mauvaise réputation, ça va commencer à chercher des embrouilles, ou sortir des phrases du style : « T’as géchan depuis que t’es en couple. » Ou : « Tu traînes plus avec elle que nous. » Il n’y a pas vraiment de critères, mais ça dépend surtout de la réputation de la fille.

Moi et mon frère, on a toujours su que les gens du quartier avaient une vision bien définie des relations fillegarçon. Pour eux, les « filles du dehors » ont forcément mauvaise réputation et sont seulement des conquêtes. Il y a une semaine, on devait rejoindre vers 18 heures deux de nos amies, avec qui on est très proches et qu’on connaît du lycée.

Elles ont pu éviter les autres gros charos

Elles nous ont appelées en sortant du tram, pour nous dire qu’elles avançaient. Mais comme je savais que j’allais croiser les autres du quartier, je leur ai dit de rester au tram, qu’on les rejoindrait. Alors, on est descendu, et sur qui on est tombé ? Sur les autres jeunes de ma génération. Ça nous a checkés, nous a dit bonjour, et forcément, ça nous a posé la question : « Vous allez où ? » On leur a répondu qu’on allait voir des filles, et direct ils nous ont demandé s’ils pouvaient venir avec nous, pour essayer de gratter quelques Snaps et nums. Bref, on leur a dit non.

Sur le chemin du retour, on a décidé de raccompagner nos amies. Moi, j’ai dû partir en éclaireur, pour voir si les autres étaient encore là, car le tram qu’elles prenaient pour rentrer était sur le chemin où ils avaient l’habitude de traîner. Dieu merci, ils n’étaient pas là, et elles ont pu éviter les autres gros charos. Après, on a l’habitude de se faire questionner sur si on va capter des filles. Donc ça n’est même plus gênant.

Ils veulent toujours plus de filles avec qui flirter

Je pense qu’ils sont comme ça, parce qu’ils ont « faim ». Ils ont sûrement des filles dans leurs contacts avec qui s’amuser, mais ils veulent toujours plus de filles avec qui flirter. Ils se disent qu’ils sont jeunes et qu’il vaut mieux en profiter. Quand le moment viendra et qu’ils voudront du sérieux, ils iront se chercher une « fille bien »,pour se caser et fonder une famille, en tout cas pour la plupart. D’autres peuvent très bien continuer comme ça toute leur jeunesse.

Dans leur quotidien comme sur internet, de nombreuses femmes sont victimes de leur réputation. Sur Discord, un homme a fait passer Zora pour une « femme à mecs ». Pour avoir refusé ses avances, elle a été cyberharcelée.

Capture d'écran d'un article de la ZEP. Une femme regarde son téléphone, le visage bleuté.

Tous les jeunes de ma génération ne sont pas comme ça hein ! Il y en a d’autres qui ne pensent carrément pas aux filles et qui cherchent seulement à faire rentrer de l’argent. Aujourd’hui, j’ai 18 ans, bientôt 19, et je vois les filles de mon quartier plus comme des sœurs, dans le sens où c’est plus la famille pour moi. À force de les côtoyer, je n’ai plus autant d’intérêt envers elles.

Forcément, la mentalité des autres a déteint un peu sur moi, donc je vois un peu aussi les « filles du dehors » comme des « proies », mais pas forcément comme des filles qui ont mauvaise réputation.

Bell, 18 ans, en recherche d’emploi, Paris

Crédit photo Unsplash // CC Engin Akyurt

 

Être une femme dans l’espace public

L’espace public n’est pas adapté aux femmes

Plus que n’importe quel autre environnement, l’espace public est un lieu masculin, pensé pour accueillir les activités et comportements des hommes. Les hommes y restent pour discuter, pour faire du sport, pour passer le temps… Pas les femmes. Cause et conséquence : les violences sexistes y sont donc fréquentes.

Les femmes de QPV y sont encore moins à l’aise

Les femmes sont majoritaires dans les quartiers politiques de la ville (QPV) : 52 %. Mais elles sont très peu représentées dans l’espace public. Et pour cause : elles sont plus nombreuses à être victimes de violences verbales et physiques, elles ont davantage peur d’avoir une mauvaise réputation.

Des « marches exploratoires » y sont menées

Ce dispositif est mis en place dans plusieurs quartiers en France. Le but : que les femmes qui déambulent dans les rues fassent remonter les problèmes qu’elles rencontrent dans l’espace public.

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