Rien n’a changé quand j’ai parlé
Un soir, toute ma vie a basculé. En 2020, pendant les vacances d’été, on est parties dans un gîte avec toutes les filles du foyer. On était encadrées comme dans une colo. Je passais de bons moments… Puis, une nuit, je commençais à m’endormir, il y avait une fille qui dormait aussi dans le même lit. Elle s’est rapprochée de plus en plus, elle a commencé à me déshabiller et à me toucher partout.
Je ne réagissais plus. Ça a détruit toute ma vie. Ce qu’elle m’a fait dans mon corps… Je me suis sentie sale. J’étais dans un moment de choc.
J’ai raconté cette agression
J’ai eu du mal à en parler. Pendant sept heures, je me suis retenue et, après, la meuf qui m’a fait des attouchements, je l’ai prise dans un coin et je l’ai frappée jusqu’au sang. Je n’arrivais pas à me calmer, c’est comme ça que les éducateurs m’ont demandé pourquoi je l’avais frappée… Et j’ai tout avoué, ça m’a soulagée.
C’était compliqué à dire. J’ai un copain, il a très mal réagi, il a pété un câble. Il m’a crue direct parce que, lui et moi, on n’a aucun secret. Je me suis sentie mieux et il m’a rassurée. J’en ai aussi parlé avec ma mère et à toutes les filles du foyer. Et je vois une psy. Elles m’ont crue, mais elles n’ont rien fait de spécial.
Au foyer, ils n’ont rien fait
Elle, je la vois quand je suis au foyer, et ça me dérange. Ça m’énerve parce qu’ils ne font rien, j’ai l’impression qu’ils travaillent juste pour l’argent… Il ne sert à rien ce foyer, ils nous placent dans cet endroit pour qu’on nous protège alors qu’au final, là-bas, il n’y a pas de surveillance. Ils n’ont rien fait, ils m’ont juste changée de chambre pour pas que ça se reproduise.
Il y a toujours le même cauchemar qui revient, où je me fais violer par une fille et des garçons. Quand je suis chez moi, je me sens en sécurité, et quand je suis au foyer, ça redevient mon cauchemar. Pourtant, ils sont au courant, j’ai même demandé un médicament pour m’endormir…
Où est la justice ?
Une éducatrice était choquée que ça m’arrive à moi, parce que j’ai un caractère fort. Elle m’a dit que c’était la justice qui allait régler ça, mais la fille n’a rien eu, elle n’a pas été punie.
J’ai porté plainte, ça ne changeait rien que ce soit une fille. Ils n’ont rien fait, au début. Ils n’ont rien fait parce que c’était juste des attouchements. S’il y a des meufs qui se font violer, ils disent que c’est nous qui provoquons… Il faut qu’il y ait un truc grave pour qu’ils se réveillent.
Au collège, Manon a été agressée sexuellement par deux garçons de sa classe. Elle n’a trouvé aucun soutien.
Dans cette vie de merde, la gendarmerie et la police ne servent à rien… Je ne crois plus en la justice. Je crois qu’il faut qu’on se débrouille seules et qu’on ne peut compter que sur nous-mêmes.
Lisa, 16 ans, lycéenne, Coulommiers
Crédit photo Pexels // CC cottonbro
Dans l’enfer des foyers
Dans l’enfer des foyers, c’est un livre écrit par Lyes Louffok, un militant des droits de l’enfant. Lyes a grandi entre familles d’accueil et foyers, et il a subi beaucoup de violence.
Dans ce livre comme dans les médias, Lyes Louffok dénonce les conditions de vie d’enfants déjà brisé·es : maltraitances, violences sexuelles et physiques, humiliations…
Chaque année, environ 150 000 enfants sont placé·es dans des foyers par l’Aide sociale à l’enfance. Les abus ne sont pas systématiques, mais ils sont très fréquents.
Depuis quelques années, de plus en plus de témoignages et d’enquêtes journalistiques dénoncent des conditions d’accueil épouvantables dans les foyers et l’inaction de l’État face à cette situation alarmante.