Manon F. 23/02/2022

Violences sexuelles : les institutions m’ont abandonnée

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Après son agression, Manon n'a trouvé aucun soutien. Ni du côté de la police lorsqu'elle a porté plainte, ni au collège, ni en allant consulter un médecin.

Je me décide à aller au commissariat accompagnée de ma mère. J’attends, longtemps. Je perds patience, je sors prendre l’air. Puis, je pète un plomb et je m’en vais. Ma mère essaie de me convaincre de rester, je n’ai pas attendu tout ce temps pour rien quand même ! Mais c’est trop dur, ça rend toute cette histoire trop réelle. Nous sommes seulement le lendemain de mon agression, je ne réalise pas encore pleinement ce qui m’est arrivé. Elle accepte que nous partions, je suis au bord de la crise de panique.

« T’es vraiment qu’une p***. » Voici le style de phrases que je me prenais plusieurs fois par jour pendant mes années au collège. Je me suis fait harceler parce que mes agresseurs étaient trop fiers d’eux, et les autres élèves trop influençables pour comprendre qu’en cas d’agression, les victimes ne sont pas en faute.

J’ai été agressée sexuellement par deux élèves de ma classe en troisième, et c’était déjà la troisième fois de ma vie. Sauf que, cette fois-ci, j’ai décidé de ne pas me taire et de porter plainte pour les punir et avoir ma vengeance, pour leur pourrir la vie. Même si ça ne représentera même pas un quart de la souffrance que j’ai ressentie.

Cinq heures d’attente, trois de questions

Nous retournons le lendemain au commissariat, encore toutes les deux. J’attends plus de cinq heures. Cinq longues heures à me remémorer chaque détail de cette horreur. Puis, vient enfin le moment d’être prise en charge. L’environnement est très froid, la policière qui s’occupe de moi essaie d’être chaleureuse pour me mettre en confiance. Ce qui marche très peu, étant donné que je dois raconter à une totale inconnue quelque chose qui me fait beaucoup de mal.

Elle me pose des questions sur tous les détails de l’agression. Souci, je ne me souviens pas de tout. Mes agresseurs m’avaient fait boire de l’alcool à mon insu. Je reste à peu près trois heures à répondre à ses questions, parfois je dissocie, parfois elle me pose des questions accusatrices telles que : « T’étais habillée comment ? » ; « T’es sûre d’avoir dit non ? » Alors qu’elle sait très bien que c’est la troisième fois que ça m’arrive et donc que le schéma victimaire plus l’alcool sont présents, donc le consentement ou le non-consentement sont compliqués. Il n’y a pas à avoir de ton accusateur envers une victime.

Mon dossier a été classé sans suite

Je trouve cela scandaleux… Comme si ma tenue allait changer quelque chose à leur comportement ! Seraient-ils moins coupables si j’avais été en jupe ? J’ai donné toutes les informations que j’avais, le maximum de détails possibles. Je rentre chez moi lessivée, c’était un effort énorme pour moi. Quand je pars, les policiers me disent qu’ils me contacteront sous peu pour avoir encore d’autres détails et que mes témoins seront entendus bientôt. Mensonge.

Ils n’ont jamais été interrogés, et mon dossier a été classé sans suite. Je ne l’ai su que quelques semaines après, en appelant moi-même ! Ils n’en ont tellement rien à faire, et ils ont tellement de dossiers à gérer qu’ils ne prennent même pas le temps de nous tenir au courant de l’évolution du dossier. Je décide de ne pas forcer, de ne pas demander pourquoi ou comment ça se fait. Ils ont perdu ma confiance.

Le collège aussi était au courant de cette histoire, ainsi que de ma réPUTEation et de qui étaient ces élèves qui m’avaient fait du mal. Ils n’ont rien fait pour moi, si ce n’est m’ignorer. Suite à cette affaire, j’ai fait de la phobie scolaire. Je ne me suis pas rendue en cours pendant plus d’un mois et demi.

Confrontée à mes agresseurs

Un jour, je me pointe au collège pour rendre un papier et, dans le couloir, alors que je vais partir, une dame que je n’avais jamais vue m’interpelle. C’est l’assistante sociale du collège. Elle est au courant de mon agression et aimerait avoir ma version des faits. Je suis très claire quand je lui réponds que je ne souhaite pas lui en parler et que je dois y aller car ma mère m’attend dans la voiture depuis déjà dix minutes. Elle refuse complètement ma réponse et me force à aller dans son bureau avec elle.

Dans son bureau, peur et panique infinies. Mes agresseurs sont là, en train de rire ensemble comme des amis. Ils s’aperçoivent de ma présence… Silence.

On m’invite à m’asseoir et à raconter l’histoire. Devant eux. Ils n’arrêtent pas de me couper dans mon récit pour dire que je mens. L’assistante sociale ne leur dit rien.

Elle n’avait pas le droit de me forcer à parler de ça, et encore moins en confrontation (sachant que je n’ai jamais eu leur version des faits au final).

« Trop compliquée pour les psychiatres »

Dans cette histoire d’agression, il y a plein de personnes qui auraient pu aider. Elles ont soit décidé de ne rien faire et d’ignorer la situation, soit de n’en avoir juste rien à foutre.

Récemment, après des années à refouler mes émotions et mes traumatismes (car évidemment, ce n’est pas mon seul trauma), j’ai essayé d’appeler à l’aide en prenant rendez-vous chez un psychiatre. Un infirmier m’a reçue. Il m’a écoutée et aidée à faire un descriptif de ma vie, de mes traumas et de mes symptômes en lien avec ma santé mentale. En fin de rendez-vous, il a été capable de m’annoncer droit dans les yeux que j’étais « trop compliquée pour les psychiatres avec qui il bosse ». Comment ça « trop compliquée » ? Je vais devoir assumer les conneries de mes agresseurs pendant combien de temps ? Vous avez juste la flemme de vous investir dans un vrai cas clinique !

Seule une femme sur 10 porte plainte après avoir été victime d’un viol ou d’une tentative de viol. Nombre de ces plaintes sont ensuite classées sans suite. Un parcours long et souvent traumatisant dans lequel certaines osent tout de même s’aventurer.

Capture d'écran de l'illustration de la série d'articles "Après le viol, l'épreuve de la plainte". Au centre une tête sans visage est tenus par plusieurs mains.

Dans cette histoire, j’ai cherché de l’aide de partout, mais personne n’était prêt à m’aider ou à me dire : « Oui, tu as été agressée, oui tes sentiments sont valides, non tu n’es pas dégueulasse, non tu ne mérites pas ce qui t’est arrivé, oui tu as le droit à l’amour…» Je tiens également à remercier tout particulièrement mes agresseurs, sans qui toute cette histoire n’aurait jamais eu lieu.

Manon, 19 ans, volontaire en service civique, Toulouse

Crédit photo Hans Lucas // © Benoît Durand

 

La mauvaise prise en charge par la police des violences sexuelles

C’est un problème généralisé et systémique

Les témoignages dénonçant la mauvaise prise en charge des violences sexuelles se multiplient et pointent un problème de grande ampleur. La préfecture de police a commandé un rapport sur le sujet, et a finalement décidé de ne pas publier les chiffres…

Les associations alertent sur le problème

Selon l’enquête « Paye ta plainte » publiée en 2018, 60 % des plaignant·e·s disent que leur dépôt de plainte a été refusé, alors que c’est interdit. D’après une enquête de #NousToutes, 66 % estiment avoir été mal pris·es en charge par la police.

Les crimes sont souvent minimisés

Même une fois la plainte déposée, les faits sont souvent minorés, et les crimes fréquemment jugés comme des délits. Entre 2013 et 2014, la moitié des viols jugés au tribunal de Bobigny ont été qualifiés « d’agressions sexuelles ».

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