Hilna Q. 28/04/2025

Français mention « jamais assez bien »

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Lorsqu’elle arrive en France à l'âge de 15 ans, Hilna est confrontée à un défi de taille : apprendre une nouvelle langue. Au lycée, certains adultes la rabaissent à cause de son niveau en français. Après un été de cours particuliers, elle atteint son but. Une revanche !

Je me souviens du voyage silencieux de chez moi vers l’aéroport, dans le taxi, avec mon frère jumeau et mon père. Je savais que c’était mon dernier jour en Inde et que je ne reviendrai pas avant longtemps. Ce changement était effrayant, mais j’ai dû m’adapter car ma mère nous attendait en France. Nous sommes arrivés en janvier 2022. Mon frère et moi avions 15 ans. 

Les trois premiers mois, nous n’avions pas à interagir avec les gens. Nous restions à la maison, sortions ensemble aussi. Tout était amusant. Jusqu’à ce que nous commencions l’école. Il y a eu beaucoup de moqueries, de découragement venant des enseignants et d’autres adultes.

Méprisés par les adultes

En septembre, j’ai commencé le lycée, en seconde. Je ne comprenais rien. Mon frère et moi, on ne parlait qu’en anglais avec les gens. Certains nous répondaient aussi en anglais pour ne pas nous faire sentir seuls…

Mais à l’administration, la dame du secrétariat ne voulait pas nous aider. « Vous ne parlez pas français. » La dame de l’intendance ne voulait pas nous parler. « Je ne comprends pas. » Quand on lui demandait de l’aide pour des formulaires, elle passait deux secondes avec nous alors qu’avec les autres, c’était au moins cinq minutes. 

Un jour, pendant qu’elle nous distribuait nos copies corrigées, ma prof d’histoire-géo m’a donné ma note. 11 sur 20. Elle m’a dit : « C’est bien. » Ensuite, elle a donné sa copie à mon frère. 5. Nous savions que c’était surtout la langue le problème, mais elle a commencé à nous crier dessus devant la classe. « Si vous continuez comme ça, vous n’irez nulle part. » Elle a dit à mon frère : « Je t’envoie même des cours en plus, et tu ne ne les fais pas. Je ne sais pas pourquoi tu es là. Tu n’apprends pas. » Pendant ce temps, j’étais silencieuse. 

Pourtant, en plus du lycée, on avait des cours de français à domicile avec une prof. C’était tous les samedis, de 9 heures à 12 heures. Elle nous a aidés avec la conjugaison, le vocabulaire et à l’oral. Grâce à elle, nous avons appris beaucoup de choses.

Même si on ne parlait pas français, on comprenait. Ces mots étaient durs pour nous. Les mauvaises notes, les efforts supplémentaires, les cours supplémentaires, tout cela m’a épuisée. Qu’est-ce qu’elle attendait de nous pour obtenir 20 ? Les mots français et les verbes sont fous. J’ai appris que même les tables et les chaises ont des genres. Dans ma langue maternelle, le malayalam, ce n’est pas le cas.

Avant je ne le comprenais pas mais maintenant, oui : c’était de la discrimination. Grâce à mon frère, j’ai pu tenir. Je n’étais pas seule. 

S’améliorer grâce à la bienveillance 

Avant la rentrée en première, j’ai travaillé tout l’été avec ma prof de français à domicile. J’avais des cours plusieurs fois par semaine. J’ai validé le niveau A1. C’était facile, j’ai eu 100/100.

L’année de première, en 2023-2024, ça a été « mon » année. Sur tous mes bulletins étaient écrits les mots « excellents », « très bien », « courage » et la mention « félicitations et compliments ».

Tous les professeurs qui me regardaient de haut étaient choqués et surpris par ce changement. J’ai commencé à parler en français avec ceux qui se moquaient de moi. Pour être honnête, je voulais surtout me venger. Avoir de bonnes notes pour leur montrer mes capacités. J’ai fini par me choquer moi-même. Je voulais aussi rendre mes parents fiers. 

Ce n’était pas fini. Tous les mardis et les jeudis, pendant une heure, un prof qui était là pour nous soutenir nous a aidés avec des cours supplémentaires pour obtenir de bons résultats au baccalauréat de français. J’ai eu 14 à l’oral. Je le remercie, lui et tous les autres profs, d’anglais, d’espagnol et de maths, qui ont été patients et à l’écoute. 

Je suis très fière de moi et de mon frère. Parfois, j’ai quand même peur qu’on me dise « c’est pas bien » quand je parle. Mais au moins, maintenant, je peux communiquer s’il y a quelque chose. Avant, j’étais obligée d’être silencieuse. Je pensais que le monde allait s’écrouler si je ne connaissais pas le français… mais non. Me voilà.

Hilna, 18 ans, lycéenne, Saint-Ouen-L’Aumôme

Crédit photo Unsplash // CC Shantanu Kumar

 

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