Même en hôpital psy, on me prend pour un « fou »
Il y a semble-t-il 1 million d’années, je faisais mes balbutiements à la clinique de Cahors. Première fois chez les « fous », dans un hôpital psychiatrique. J’étais déprimé, globalement suicidaire, avisant les courbes capricieuses de mon humeur avec une curiosité accrue. À 17 ans, j’arrivais à la fin de ma vie et, pour être honnête, j’avais les deux pieds dans le ciment. Un mois et demi plus tard, sans grand-chose de neuf, j’étais dehors. Trois semaines encore après, je me réveillais en cellule d’isolement à l’hôpital de Leym, à 100 km de là.
Pas de télévision, pas d’ordinateur, pas de téléphone, pas de sortie, à peine de visites. 50 m² de jardin. Des pilules qui font faire dodo en guise de repas. À mon grand étonnement, c’était très différent de Disneyland. Ici, ils avaient échangé les mères de famille contre des criminels ayant plaidé la folie et des personnes délirantes aux comportements désorganisés et inquiétants.
Je m’occupais en solitaire. J’écrivais, je lisais Sartre, Kafka, Steinbeck. J’hallucinais des personnages d’une histoire que j’avais écrite enfant. Bref, autant d’activités en osmose avec ma situation. Tant que le médecin ne donnait pas son feu vert, je n’avais pas le droit de sortir.
Une semaine effacée de ma mémoire
J’ai eu la chance extraordinaire de retourner par trois fois dans la machine de l’hôpital psychiatrique. Une fois qu’elle nous tient, elle ne veut pas nous lâcher si facilement. À chaque séjour, je développais une aversion et une suspicion de plus en plus exacerbées envers ce milieu, au carton publicitaire pourtant si attrayant et propret. Je résistais aux médecins, je crachais les cachets qu’on refusait de m’enlever. Très tôt, j’ai entendu la manière répétée et appuyée dont les patients des hôpitaux se plaisent à dire : « Les vrais fous, ils sont dehors. »
En tout cas, les « vrais fous » qui se sont fait choper, dans leur esprit formidablement étriqué et normé, ce sont les personnes psychotiques : les schizophrènes, les schizo-affectifs, les personnes avec des troubles de la personnalité, et (je suis là-dedans, enchanté) les bipolaires supplément psychoses. Ça, pour eux, ce sont les fous. Ces troubles-là, c’est la fin du monde. Des malades irrécupérables qui n’iront jamais nulle part parce qu’ils sont trop déconnectés, ou que la logique de leur réalité est bancale. À ceux qui pensent ça, j’ai envie de leur donner raison sur au moins un point en leur faisant découvrir le goût sophistiqué de mes phalanges.
Les « vrais fous » ne sont acceptés ni dedans ni dehors, entravés et privés de leur libre-arbitre. À 18 ans, j’ai demandé de mon plein gré une hospitalisation libre dans un hôpital psychiatrique pour me refaire une santé. On m’a shooté de manière si agressive que toute une semaine là-bas s’est effacée de ma mémoire. Semaine où j’ai pu faire n’importe quoi, mais surtout, où l’on a pu me faire n’importe quoi.
On m’a volé une semaine entière, tout ça pour être transféré sans mon consentement. Là où mes séances de psy ne semblaient pas répondre du secret médical, là où on m’a donné des médocs normalement utilisés ponctuellement pour les crises psychotiques.
Plus jamais enfermé
Alors, il tombe sous le sens que je me sente plus en sécurité loin des hospitalisations, des cellules d’isolement et des mises sous tutelle. Et qu’on se retrouve tous lors d’une nuit calme et chaude en bord de Garonne, au milieu de ceux qui cherchent à échapper à leurs propres entraves. Il règne une atmosphère urbaine, avec ses trois pauvres arbres penchés qui attirent les moustiques, et les éclairages industriels qui agressent l’œil à s’en cramer les rétines. Tout le monde se connaît et personne ne saurait dire le nom de son voisin. Tourne une large gamme de substances diverses et variées pour contenter toutes les âmes, et la bienveillance est mot d’ordre. En soit, une idyllique variation des milieux toxicomanes, dans lesquels sont camouflés quelques-uns de ceux qu’on appelle « les vrais fous ».
La raison de ma présence lors de ces parades nocturnes s’apparente à une recherche de confort et de réconfort. Ce sont les soldes dans les rues de Toulouse ! Et on m’y offre pour une modique somme de quoi calmer cette rage, un endroit pour ne pas le faire seul et des camarades dénués de tout jugement.
Dans la famille d’Emma, on ne parle pas, ou peu, de sa santé mentale : c’est honteux et c’est tabou.
Quand on dégote un psychiatre ou un psychologue, qui nous assure qu’il sera adapté à nous ? Qu’il ne sera pas raciste, homophobe, persuadé que le trouble borderline n’est qu’une nouvelle étiquette pour ce qu’on appelait hystérie ? Comment puis-je faire confiance à ces hommes et ces femmes qui, du haut de leur une heure trente de connaissance à mon sujet, ont le pouvoir de m’enfermer contre mon gré si mon témoignage ne les caresse pas dans le sens du poil ?
Je déteste jouer au jeu du « qu’est-ce qui est pire ? ,» mais là j’en connais aisément la solution. Je déteste me rendre compte de ma propre situation, celle d’un homme qui a envie de faire changer les choses, mais qui a peur que ses cris lui valent un petit séjour à l’hôpital psychiatrique. Eh bien, alors, oui, je traîne. C’est souvent préférable aux institutionnalisations forcées. Peut-être que si les fous sont dehors, c’est parce qu’on les en a trop souvent privés.
Charles, 21 ans, artiste, Toulouse
Crédit photo Pexels // CC Victor
L’absence de consentement dans les hôpitaux psy
En 2021, plus d’un quart des personnes hospitalisées en service psychiatrique l’ont été sans leur consentement.
En France, c’est légal d’hospitaliser une personne de force si on estime que ses troubles psys présentent un danger imminent pour sa vie ou celle des autres. Chaque année, environ 100 000 patient·es seraient hospitalisé·es sans leur consentement.
Plus de 10 % d’entre elles et eux sont attaché·es, et 85 % sont isolé·es, alors que ces pratiques sont censées être utilisées en dernier recours. Dans les faits, seuls 2 % des patient·es en psychiatrie ont régulièrement des comportements violents.
Merci de ce beau témoignage