« J’ai honte de ne pas connaître mon histoire »
À l’entrée du collège, près du portail des vélos, il y a un drapeau bleu-blanc-rouge. Le drapeau qui représente les citoyens français. Normalement, « citoyen », ça veut dire qu’on est tous dans la même équipe. Par exemple, moi, de Cayenne où j’habite, je supporte le PSG ou l’équipe de France quand ils jouent. Mais, quand j’ouvre mes livres de classe, je n’ai pas l’impression de faire partie de l’équipe.
La seule page ou presque de mon livre d’histoire-géo où l’on peut voir une personne noire, c’est lorsqu’il est question de l’abolition de l’esclavage. En tournant les pages, je peux découvrir des photos de villages comme Pouylebon, dans le Gers, ou Carbini, en Corse. Ils sont très jolis, ça me donne envie d’y aller… mais je ne vois aucune image de mon pays : la Guyane.
La Guyane, un territoire invisible
J’aimerais que les collégiens de France puissent eux aussi voir où j’habite. Le fort Cépérou, par exemple. Quand tu es là-bas, tu vois tout Cayenne en 3D, comme au cinéma avec les lunettes ! Sur le fort Cépérou, on découvre les guerres, les exploits, les vestiges de la Guyane. C’est un peu notre tour Montparnasse à nous, mais sans les embouteillages.
Chaque fois que j’ouvre mon livre d’histoire-géo, je sais qu’encore et encore je vais lire des histoires de villes qui ne sont pas au bord du fleuve Maroni, que je vais voir des monuments tellement précieux qu’on dirait un sac Lacoste, que je vais lire des histoires de guerres sous la neige.
Parfois, j’ai honte de ne pas connaître mon histoire, de ne pas pouvoir la raconter à mon petit frère, de ne pas pouvoir lui parler d’un Napoléon, d’un général de Gaulle ou d’un Louis de la Guyane. À Cayenne, j’habite près de la rue Vendôme. Je sais qu’il y en a en France aussi : ça nous fait un point commun. On a également une rue Arago, une rue Voltaire, une rue De Gaulle…
Être une collégienne française en Guyane, c’est souvent avoir le sentiment d’habiter nulle part, de vivre dans un pays que les gens ne savent même pas situer sur une carte. Il n’est pas facile alors de se sentir solidaire, de jouer collectif quand les autres membres de l’équipe ne savent même pas qu’on existe.
Patricia, 13 ans, collégienne, Guyane
Crédit photo Pexels // CC Mikhail Nilov
« Nous ne sommes jamais dans les livres », autoportrait de la France des outre-mer
Ce récit est extrait de notre livre Nous ne sommes jamais dans les livres – Autoportrait de la France des outre-mer, à paraître le 27 mars 2025 aux éditions Les Petits matins.
Au cours de l’année 2024, les journalistes de la ZEP ont arpenté les cinq départements ultramarins pour accompagner 600 de leurs habitant·es à raconter leurs territoires, leurs façons d’y vivre, d’y étudier, de s’y déplacer, d’y faire racine ou de s’en éloigner.
160 récits individuels qui dressent par petites touches un récit choral de cette France qui n’est pas en Europe.
À lire aussi…
« Les corvées d’eau, c’est pour mes sœurs et moi », par Naïda, 14 ans. À Mayotte, la collégienne et ses sœurs parcourent chaque jour de longues distances pour aller chercher de l’eau. Pour se laver, pour cuisiner et pour boire. Naïda raconte cette quête quotidienne, bidons à la main.