L’égalité salariale oui, mais dans mon couple c’est mal parti
Il était temps ! Après deux années de prépa MP/MPSI [Mathématiques, Physique et Sciences de l’Ingénieur], trois années d’ingé-archi, une année d’Erasmus, une année de césure et une autre année d’archi, ça y est : mon copain vient enfin de finir ses études !
Avec son double-diplôme d’ingénieur-architecte, il n’a pas tardé à trouver un premier emploi. En réalité, il n’avait même pas encore soutenu son projet de fin d’études en architecture qu’il avait déjà signé son contrat de travail. Et puis, pas n’importe quel emploi : un CDI, un salaire de 39K avec un treizième mois, une participation, une bonne mutuelle et un CE avantageux.
Je suis très contente pour lui, mais ça me fait tout drôle… Ça me renvoie quelques années en arrière, au moment où l’on commençait nos études supérieures et où j’affirmais mes convictions féministes. Je me souviens d’une discussion que l’on avait eue au sujet des inégalités salariales. En 2014, les inégalités salariales entre les hommes et les femmes étaient de 24 % et en équivalent temps plein, les femmes touchaient 18,5 % de moins que les hommes. Malgré tout, j’étais convaincue qu’à mon échelle, je serais capable de contredire les statistiques. J’avais d’ailleurs annoncé –peut-être un peu présomptueusement– que plus tard, je ne me voyais pas gagner moins que mon conjoint.
J’ai fini par intégrer le groupe des « intellos précaires »
À l’époque, je n’étais sans doute pas trop loin du compte. Je démarrais mes études à Sciences Po, même si je n’étais pas du tout attirée par les filières les plus rétributives de mon école. J’ai finalement suivi des études en politiques urbaines, mais dès la fin de mon diplôme, je me suis dirigée vers le journalisme – n’en déplaise à mes parents qui désavouaient ce secteur complètement « bouché ». En multipliant les CDD de quelques mois et les piges, j’ai fini par intégrer le groupe des « intellos précaires », ces artistes, thésards, pigistes qui exercent une activité qualifiée mais peu rémunératrice et marquée par une grande instabilité.
Ce n’était déjà pas toujours évident d’assumer mon « déclassement professionnel » (ou plutôt mon « déclassement salarial ») auprès de mes camarades de promo de la rue des Saints-Pères, mais voilà que je deviens un peu complexée vis-à-vis de mon mec parce qu’il s’apprête à rentrer dans la vie active et à gagner plus que moi.
Mon petit copain va bien gagner sa vie, il va vouloir se faire plaisir
Jusque-là, je gagnais plus que lui. Forcément, il était toujours étudiant alors que moi, je bossais depuis trois ans environ. Mais comme je gagne à peine plus qu’un SMIC, mon mec et moi avions un pouvoir d’achat équivalent à celui d’un couple d’étudiants. Sans compter les tarifs réduits destinés aux moins de 26 ans dont on profitait abondamment ! Mais la situation est sur le point de changer. Mon petit copain va bien gagner sa vie, il va vouloir se faire davantage plaisir. Moi, au contraire, je vais avoir 26 ans à la fin de l’année, dire adieux aux réductions et donc faire plus attention à mes dépenses ! Je me demande à quel point ça va affecter nos sorties, nos modes de consommation, notre vie de couple.
Datagora c’est des vidéos/infographies. Société, politique, économie tout y passe. La question du jour : Le couple est-il toujours un rempart contre les inégalités ?
L’exemple le plus emblématique est sans doute le logement. On cherche à quitter notre appartement actuel mais ce n’est pas une mince affaire. Déjà, compte tenu de ma situation, je n’ai pas un très bon dossier. Faut-il donc faire nos recherches avec son dossier uniquement pour maximiser nos chances ? Mais ça signifie que je ne pourrai pas mettre mon nom sur le bail… Autre dilemme : nous n’avons pas le même budget à mettre dans le loyer. Or, mon copain a certaines attentes, d’autant que sa situation financière va s’améliorer. Est ce que cela veut dire que nous devons participer au loyer proportionnellement à nos revenus ? Mais suis-je prête à accepter cette asymétrie ?
Et mes idéaux féministes ?
L’ironie de l’histoire, c’est que j’ai beau être la plus féministe de mes copines, je suis probablement celle où les inégalités salariales au sein du couple vont être les plus criantes. Contrairement à moi, la plupart de mes copines ont choisi d’aller vers des activités plus lucratives : cabinet d’avocat, consulting, marketing et RH de grandes firmes du CAC 40… Dans l’ensemble, pour celles qui vivent avec leurs copains, elles gagnent bien mieux que moi et leurs salaires se rapprochent de ceux de leurs conjoints, tantôt au-dessous, tantôt au-dessus ! Mais je constate qu’en début de carrière et au sein de ma génération, les inégalités salariales au sein des couples sont relativement faibles. Cela étant, j’ai conscience que ces quelques copines – bac +5 qu’on se le dise – ne sont pas très représentatives de la société française. En 2011, seule une femme sur quatre gagnait plus que son compagnon et en moyenne, les femmes vivant en couple perçoivent un revenu annuel de 42% inférieur à celui de leur conjoint.
Léa a aussi subi des inégalités de traitement au travail à la sortie de ses études. Malgré son parcours exemplaire. Parce que “jeune, femme et surdiplômée”, on ne l’a pas embauchée
Mais à côté de ça, je suis passionnée par mon métier et je me vois difficilement faire autre chose. Au fond, en tant que féministe, est-ce qu’il faut à tout prix gagner plus que son mec ou peut-on se contenter de moins gagner du moment qu’on est indépendante financièrement (et épanouie au travail !) ? Je crois que vous connaissez ma réponse.
Inès, 25 ans, salariée, Paris
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