Aïcha B. 13/10/2022

Jetée au bord de la route, comme un chien

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Quand son copain l’a rouée de coups, Aïcha s’est tournée vers l’hôpital et la police. Mais personne ne l'a aidée.

Je sortais d’une relation où j’étais très amoureuse, je vivais un réel chagrin d’amour et je ne voulais plus jamais avoir d’hommes dans ma vie. Bref, une ado qui vit une déception amoureuse, rien de plus banal. Le temps passe et je rencontre Youssef, je l’apprécie beaucoup. Il me fait oublier mon premier amour. Il me fait énormément sortir et rire. C’était l’homme parfait à mes yeux. J’aimais sa présence.

Un jour, j’étais avec lui, puis il a commencé à avoir les mains baladeuses. Je l’ai stoppé, mais il a continué à me toucher sans mon consentement donc je suis sortie de la voiture. Jamais je ne m’étais sentie aussi sale qu’à ce moment. J’ai eu tellement peur, j’étais trop angoissée. Je n’ai pas dormi de la nuit, je n’arrivais pas à avaler quelque chose, j’étais très triste. Je l’ai bloqué de partout, mais il m’a forcé à lui parler. Il me harcelait en utilisant des numéros de téléphone différents.

Il est même venu sur mon lieu de travail avec une paire de boucles d’oreille que je voulais et une paire de chaussures. Pour éviter qu’il revienne, j’ai accepté de lui donner un rendez-vous, histoire de voir ce qu’il avait à dire. J’étais stressée. Personne n’était au courant, il pouvait m’arriver n’importe quoi. Plus je m’approchais du rendez-vous, plus j’étais stressée. Mes jambes tremblaient, j’avais du mal à respirer. Quand je l’ai vu, j’avais envie de faire demi-tour. Le pire, c’est qu’il souriait en me voyant.

Je le croyais sincère

Il m’a dit qu’il était trop content de me voir, qu’il était fou amoureux de moi, que j’étais la femme de sa vie. Moi, je ne voulais rien savoir. J’attendais ses explications. Il a justifié son comportement en prétextant qu’il avait fumé avec ses potes avant, qu’il avait dérapé car il aimait trop mon physique et qu’il n’était pas lui-même. Il s’est mis à pleurer en me disant qu’il n’allait plus jamais recommencer. J’ai eu de la peine pour lui. Je lui ai pardonné car il me faisait déclaration sur déclaration, je le croyais sincère. Je suis trop conne…

J’ai retrouvé le Youssef du début. On est allés manger, on a bien rigolé. Il était doux et gentil comme au début. Les mois ont passé, tout allait bien.

Un jour, mon ex m’a ajouté sur Snap. En rigolant, j’ai dit à Youssef : « Oh, regarde qui m’a ajoutée ! » Il s’est énervé, il m’a dit de changer de compte Snap, mais j’ai refusé. Puis, un froid s’est installé entre nous. Il est devenu parano. Quand je me maquillais, il disait que j’allais voir des garçons. Il voulait absolument les mots de passe de mes réseaux. Quand on sortait, il me disait que je regardais les hommes, alors que non. Il ne voulait plus que je sorte avec mes amies. Mais je ne l’écoutais pas, ce n’est pas mon père !

L’un des pires jours de ma vie

Quand j’ai mis une photo de moi et mon meilleur ami dans ma story, le jour même il m’a envoyé un message pour me voir. J’y suis allée, il m’a demandé ce que je faisais avec un garçon. Je n’ai même pas eu le temps de répondre. Il m’a rouée de coups jusqu’à me casser le poignet, en m’insultant de « put* de salo** ». Je le trompais, il en était persuadé. Il m’a jetée au bord d’une route comme un pauvre chien qu’on abandonne. J’étais en pleurs, j’avais trop mal au poignet, je voyais flou.

Je me suis rendu compte que j’étais perdue. J’avais laissé mon portable dans sa voiture. Je ne pouvais pas appeler les pompiers, j’étais seule et il était tard. Ce fut l’un des pires jours de ma vie. J’avais tellement mal, je saignais du nez, j’avais du sang partout. Un homme s’est arrêté et m’a demandé si j’avais besoin d’aide, je lui ai demandé d’aller à l’hôpital.

Le monsieur m’a déposée. À l’hôpital, j’ai attendu deux heures. J’étais sur le point de perdre connaissance. Une infirmière m’a appelée, je lui ai tout expliqué. Elle m’a répondu « OK on va vous faire une radio » d’un air limite agacé. Je me sentais si seule, mais je me suis dit qu’il y avait du monde, qu’elle devait être fatiguée. Je suis retournée dans la salle d’attente. J’ai attendu une heure, sans portable pour prévenir mon père.

De l’hôpital au commissariat

Un médecin m’a appelée pour m’ausculter et voir si j’avais besoin de faire des examens. Je lui ai aussi tout expliqué. Il m’a dit d’aller au commissariat pour porter plainte. Il m’a fait passer en urgence une radio du bras et des côtes. J’ai eu une côte fêlée et le poignet fracturé. Ils m’ont gardée la nuit, je suis sortie le lendemain en fin d’après-midi. Ils m’ont très mal accueillie dans cet hôpital, mais j’ai peu de souvenirs car j’étais trop dans les vapes.

Je suis rentrée chez moi. J’étais mal, je ne voulais plus sortir. J’ai contacté mon ex pour récupérer mon tél, il me l’a ramené dans ma boîte aux lettres. Je suis allée au commissariat deux semaines après car j’étais trop triste, et j’avais trop mal.

Une dame m’a accueillie en me demandant ce qu’il s’était passé. Elle notait tout sur son ordi, m’a posé des questions du genre : est-ce que je l’ai provoqué ? Le jour où il m’a fait des attouchements, j’étais habillée comment ? Est-ce qu’à l’hôpital, j’ai dit ce qu’il s’était passé ? Pourquoi je lui ai pardonné ? D’un air agacé, exactement comme l’infirmière. C’était court, elle allait me rappeler. C’est ce qu’elle m’a dit. Je n’ai jamais eu d’appel.

Rose a été victime de violences conjugales dès l’adolescence. En plus de la maltraitance de son ex-copain, elle a dû faire face à la violence judiciaire.

Capture d'écrans d'un autre article de la ZEP " Après la violence conjugale, la violence judiciaire". On voit deux policiers devant le tribunal de Paris.

Youssef m’a harcelée, il est même allé voir mon père pour demander ma main en mariage. J’ai refusé, puis il a commencé à me menacer de viol. Il m’a dit qu’il allait me tuer. J’ai ignoré tout ça, puis j’ai décidé de me faire justice moi-même. J’ai tout expliqué à mon meilleur ami. Il s’en est occupé. Je n’ai plus jamais eu de nouvelles de Youssef, je ne sais pas ce qu’il s’est passé.

Aïcha, 20 ans, en formation, Paris

Crédit photo Pexels // CC Victor Dompablo

 

 

Le savais-tu ?

Quand on dit « violences conjugales », on a l’image de la mère de famille violentée par un mari alcoolique. Ce cliché existe, mais les violences conjugales concernent aussi les (très) jeunes femmes : au moins 29 % des victimes ont moins de 30 ans.

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