Lena D. 17/03/2025

Le bruit, l’odeur et les cadences de l’usine

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Faute d’avoir trouvé un job d’été sur la côte vendéenne, Lena a travaillé deux mois à la chaîne. Cet été à l’usine pour elle, c’est un quotidien pour beaucoup d’autres.

La période des partiels est passée. Je rentre chez mes parents en Vendée. Pour une saison sur la côte, je m’y suis prise trop tard. J’ai besoin de sous. J’avais d’autres plans mais l’usine recrute. Alors je signe pour un contrat de deux mois en intérim. Mes vacances d’été, je les passe dans une fabrique de gâteaux. Je m’y rends à vélo. Quelques kilomètres à travers champs.

J’arrive en avance et discute dans les vestiaires avec d’autres intérimaires. Contentes, elles terminent tout juste, rentrent bientôt chez elles. Moi, j’enfile mes plus belles chaussures de sécurité. Charlotte, blouse et bouchons d’oreille : je suis prête.

À l’intérieur, on communique entre nous par des gestes, très près du visage ou on essaie de gueuler plus fort que la machine. Je suis assignée au même poste qu’hier : au bout du tapis, ligne C. L’endroit dégage un parfum sucré-vanillé vite écœurant. Les biscuits sont dans leur étui. Les étuis dans leurs boîtes. Je dois faire deux rangées de cinq dans un carton positionné au préalable. Scotcher le carton. C’est tout.

Cadence imposée

À l’autre bout de la ligne, les pâtissiers préparent la mixture avant qu’on la cuise. Simple jeu d’assemblage d’ingrédients en quantités monstrueuses. Il y a une fuite dans cette zone. Samuel et Maud, deux jeunes intérimaires, sont chargés de tout nettoyer. Ils me racontent que l’odeur est « dégueulasse », le truc « poisseux ». C’est tout près des fours. Il y fait très chaud. Plus encore que dans le hall principal où l’on fait l’empaquetage. Ils bossent dans des fours et c’est l’été.

Toujours debout, on piétine toute la journée. Le plus souvent, je ne bouge pas. La chaîne tourne à un rythme soutenu. La fatigue s’installe. Mon dos me fait mal à cause de ma position. Si je ralentis, une vision angoissante des cartons qui s’entassent s’impose à moi : ceux restés sur le tapis se compriment, prêts à exploser sous la pression de leurs voisins. La peur de mal faire m’angoisse.

À 16 heures, je suis appelée sur une autre ligne. Une machine s’emballe. Tous les paquets de gâteaux sont écartés violemment par le mécanisme déréglé. Projetés sèchement, ils atterrissent sur le sol bientôt totalement recouvert. Il y en a des centaines. On les attrape au vol pour les stocker dans de grands bacs. Ils viennent à pleine vitesse. Je les stoppe. J’esquive les suivants qui manquent de m’arriver dans la figure.

L’oeil sur la pendule

18h30. Je n’arrive plus à faire abstraction des pendules postées aux quatre coins de l’usine. Je les regarde constamment. Les aiguilles semblent figées. On reste là, huit heures à l’ouvrage pour 30 minutes de pause. Ça laisse à peine le temps de manger.

La pause ? Un bol d’air frais. J’en profite pour aller fumer. On est plusieurs dehors. Tous, le café à la main. La clope au bec. On se voit en civil. Je souris parce qu’Alexandre a de longs cheveux soyeux et Inaya une teinture rouge. Je ne les avais pas reconnus sans leurs charlottes. On discute un peu. Je regarde l’heure sur mon téléphone, puis j’écrase mon mégot.

Retour à mon poste de travail. De nouveau avec les cartons. Le défilé de sachets qui se faisait par paires est réduit de moitié. Les pannes récurrentes rendent le temps plus long. Quand une ligne s’arrête, on peut discuter entre nous. Michèle me dit de continuer les études. Je veux être réalisatrice. Ça n’a pas l’air de l’emballer mais « le principal, c’est que tu aimes ce que tu fais ». Elle part à la retraite le mois prochain, après 30 ans de fidélité. C’est un boulot ingrat. Je m’empresse d’achever ma tâche. Je reviendrai demain.

Lena, 20 ans, volontaire en service civique, Paris

Crédit photo Unsplash // CC Remy Gieling

 

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