Roméo L. 09/05/2022

Violences familiales : personne ne m’a cru

tags :

Roméo a été battu par son beau-père pendant plusieurs années, sous le regard de sa mère et dans l’indifférence générale.

Lorsque j’ai eu un an, mes parents se sont séparés. Et c’est malheureusement ma génitrice qui a obtenu la garde. Le début d’un long cauchemar, qui ne s’est arrêté que quand j’ai eu 9 ans. Au début, on vivait tous les deux dans un appartement à Saint-Pol-sur-Mer, plutôt grand et beau. Peu de temps après, ma génitrice s’est mise avec un homme, qui est devenu mon beau-père. Ensemble, ils ont eu une fille, ma sœur.

Cet homme m’a appris à tout faire : cuisiner, faire le ménage, uriner. Il montrait un visage gentil, tout ça uniquement pour gagner ma confiance et celle de ma génitrice. Lorsqu’il y est parvenu, il a commencé à avoir un comportement « bipolaire » : se montrer heureux pendant une heure avant d’être d’une humeur fracassante. Quand il était dans ses mauvais jours, il ne fallait surtout pas l’énerver. Par exemple, un matin, j’ai offert un bouquet de fleurs à ma génitrice, j’ai eu le malheur de le réveiller. Il était furieux : il m’a balancé un pot de fleur sur la figure.

Dans ma famille, tout le monde savait

Ses changements de comportement ont cessé pour laisser place à de la méchanceté constante. Ma génitrice tentait de contenir ses pulsions. Ou plutôt, faisait semblant de les contenir. Elle se tenait à distance et laissait faire. Les coups qu’il portait contre moi et ma sœur (qui n’était alors qu’un nourrisson) étaient quotidiens. Le tort de ma sœur ? Elle pleurait et faisait du bruit. Le mien ? Il me reprochait d’être un peu gros, de ne pas correspondre à ses critères de famille parfaite.

Il voulait que je sois à son image : grand, maigre et « charismatique », selon ses propres mots. Du coup, il me forçait à faire du sport sans me donner à manger. Je devais me peser tous les jours. D’après mes souvenirs, en deux mois, j’ai perdu dix kilos. J’avais à peine 7 ans. Fort heureusement, j’avais une grand-mère paternelle très aimante. Quand elle venait nous voir, elle me nourrissait comme un trou pour que je tienne la semaine sans faire de malaise.

Un jour, j’ai commis l’erreur de me confier à mon autre mamie, ma grand-mère maternelle. Elle pensait que j’étais fou et elle est allée tout raconter à ma génitrice et mon beau-père. Les répercussions ont été terribles. Il m’a frappé comme jamais. Ma génitrice n’a rien dit, rien fait. Comme d’habitude. Dans ma famille, beaucoup étaient au courant de ce que je vivais, mais personne ne voulait me croire ou agir.

Une pause enchantée chez ma grand-mère

On m’a posé une question qui a changé le reste de ma vie. Ma génitrice ainsi que mon beau-père m’ont demandé si je voulais vivre chez ma mamie paternelle que j’aimais tant. Je n’avais que 7 ans mais déjà, j’avais compris qu’une proposition comme celle-là, ça ne se refusait pas. Je suis donc parti vivre chez ma grand-mère pendant un an. Ça a été sans doute la meilleure année de ma vie : j’étais nourri convenablement et on me donnait de l’amour. Je vivais une utopie, un rêve éveillé. Ça paraissait fou parce qu’à un moment donné de ma vie, je pensais que c’était normal de vivre en étant frappé et mal-nourri. J’avais perdu tout lien social avec l’extérieur, je n’avais aucun ami et je pleurais souvent.

Puis, un jour, le téléphone fixe de ma grand-mère sonne. C’est ma génitrice. Elle vient d’accoucher et me demande si je veux venir voir le bébé. J’accepte de venir. Puis de revenir m’installer chez eux. Une fois à la maison, le retour à la réalité a été rapide et brutal. La violence est revenue comme si elle ne s’était jamais arrêtée. Ma génitrice ne faisait même plus semblant d’empêcher mon beau-père de me frapper. J’avais même l’impression qu’elle l’encourageait dans sa folie de coups contre ma sœur et moi. Mon beau-père a tout de suite remarqué que j’avais grossi. Il n’a pas perdu de temps pour me remettre la pression. En moins d’un mois, j’ai perdu vingt kilos.

Le cauchemar a pris fin

Heureusement, mon école a fini par remarquer que j’avais un corps chétif et que j’étais au bord de l’insuffisance pondérale [maigreur, ndlr]. Mon institutrice a contacté les services sociaux et j’ai dû expliquer toute mon histoire. Je suis retourné vivre chez ma mamie à ce moment-là. Il y a eu un nombre incalculable d’allers-retours chez le juge pour enfants. Ma génitrice et mon beau-père ne venaient jamais à ces convocations.

Au bout de quatre mois de procédure, le juge a déclaré que ma grand-mère avait désormais le rôle de responsable légal. Et j’ai cessé tout contact avec ma famille maternelle. J’ai donc emménagé chez ma mamie jusqu’à son décès, le 28 novembre 2018. C’est mon père, avec qui je passais du temps les week-ends, qui a récupéré la garde. Je me souviens avoir pleuré parce qu’il pleurait. Mais j’étais sous le choc, au fond de moi j’étais vide.

Sara et toute sa famille ont été terrorisé·es par sa mère pendant longtemps. Cette violence quotidienne et extrême a enfin pris fin avec l’intervention des services sociaux.

une porte beige avec de la lumière dessus. On voit une ombre de main qui se dirige vers la porte.

Toute cette histoire m’a forcément changé. Je me méfie énormément des gens, je n’ai pas trop de contact avec les autres par peur d’être moqué ou harcelé. J’ai été suivi par une psychologue à l’école à la demande du juge mais, honnêtement, elle ne servait à rien. Je devais juste faire des dessins avec des couleurs. Même elle ne m’a pas pris au sérieux. Non, la meilleure des psychologues que j’ai eu, c’est sans doute ma mamie. Elle me comprenait, elle m’aidait, elle m’aimait. Avec elle, je me sentais en sécurité.

Je vis toujours chez mon père et ma belle-mère. On est un peu nombreux, une famille recomposée avec cinq enfants en tout. Je garde encore quelques séquelles de mon ancienne vie, je fais des cauchemars assez gores, je garde les traces de mes mutilations. Je suis triste de ne pas pouvoir revoir mes sœurs, les deux autres enfants de ma génitrice et mon beau-père. Mais je suis vivant.

Roméo, 15 ans, lycéen, Grande-Synthe

Crédit photo Pexels // CC cottonbro

 

Je suis victime ou témoin d’une situation de maltraitance. Que faire ?

Demander de l’aide à un·e adulte

Certain·es adultes de ton école/collège/lycée peuvent t’écouter et te proposer des solutions : l’assistant·e social·e, l’infirmier·e, un·e prof ou un·e surveillant·e en qui tu as confiance.

Contacter le 199 (écoute, conseils, signalements)

-par téléphone (gratuit, n’apparaît pas sur les factures), 24h/24, tous les jours
-sur le tchat (www.allo119.gouv.fr), de 15 à 21 heures, tous les jours
-par formulaire (www.allo119.gouv.fr), de 8 à 18 heures, tous les jours
-via la plateforme en langue des signes (www.allo119.gouv.fr), de 8 à 19 heures en semaine, et de 9 à 12 heures le samedi

Partager

Commenter