Mère alcoolique, enfant stratège
Intermarché n’est qu’à six minutes à pied, parfait ! Je décide d’acheter les deux plus gros systèmes de verrous possible et je rentre chez moi. Je fonce dans le garage, discrètement, prendre un tournevis. Je monte dans ma chambre et je les installe. Un en bas, un en haut ! Les deux sont bien placés, la porte ne cédera pas, même si ma mère frappe dedans.
Le soir même, elle essaie de rentrer, comme d’habitude. Mais cette fois-ci, elle s’est heurtée à la porte, surprise de ne pas pouvoir l’ouvrir d’un coup. Elle s’est fâchée instantanément. Elle n’était pas violente mais juste étonnée. Elle devait être dans un « bon » jour.
Elle a cherché à comprendre pourquoi j’avais fait ça. Nous avons dialogué, chacun de son côté de la porte. Je lui ai expliqué qu’à 15 ans, j’avais besoin d’indépendance. Le plus dur pour moi, c’était de lui dire, dans un discours posé, que je faisais surtout ça pour me protéger de ses crises.
Les crises que fait ma mère sont dues à son alcoolisme chronique qu’elle mélange avec un antidépresseur. C’est comme ça depuis qu’elle a 30 ans. Aujourd’hui, elle en a 56.
Un vulgaire sac de boxe
Pour vivre comme ça, il fallait déjà que je décrypte la situation dans laquelle je me trouvais. Si c’était un jour de crise, je devais comprendre de quel type. Alors, au fur et à mesure, j’ai résumé ses différents comportements en trois grandes catégories.
D’abord, comme vous et moi, elle est parfois sobre. Ces jours-là, elle a sa propre personnalité, elle peut prendre des décisions et réfléchir. Malheureusement, chaque mois, ils peuvent se compter sur les doigts d’une main.
Parfois, même si c’est aussi très rare, elle est heureuse. Ça s’apparente à un état un peu second, du genre planant. Je peux lui demander plein de choses, elle répond par oui, c’est pratique ! Bon, j’en abuse un peu, mais faut bien que j’y trouve mon compte…
Enfin, la plupart du temps elle est dans un état d’énervement. La moindre chose peut la rendre violente. Elle vous parle mal, comme si vous n’étiez personne pour elle. Vous devenez un vulgaire sac de boxe : vous encaissez des mots, des phrases et des gestes qui blessent. Il suffit juste que la télé ne marche pas trop bien et c’est de ma faute. Je dois devenir technicien en un claquement de doigts et réparer la télévision, je ne m’appelle pas Xavier Niel !
Jeux vidéos pour s’évader
En fait, tout au long de ma vie, j’ai dû m’adapter. De mes 5 à mes 11 ans, mes souvenirs sont assez flous. Ce dont je me rappelle, c’est que je ne savais pas et ne comprenais pas pourquoi ma mère était comme ça. Je me disais juste qu’elle était différente des autres.
En plus, j’étais du matin ! Pour moi, c’était réveil à 7 heures. Pour ma mère, entre 10 heures et midi. J’avais le temps de manger trois bons bols de céréales (minimum) et jouer à la Wii. Une fois ma mère réveillée, je lui laissais la télé et j’allais jouer aux Lego. Certains week-ends, c’était sortie au centre commercial. Le soir, film et émission télé, seul ou avec elle. Finalement, j’avais rarement le temps de subir sa maladie. Le seul problème, c’est qu’à partir du CE2, je me faisais harceler, mais bon, ce n’était pas de sa faute.
Quand je suis arrivé au collège, les choses ont commencé à se compliquer. Je passais énormément de temps dans ma chambre à jouer aux jeux vidéo. C’était pour m’évader mais c’était contre-productif. Cette « vie de famille » ne m’a pas facilité la tâche à l’école. J’ai donc redoublé ma quatrième.
Comme si tout allait bien
Au moment du confinement, je me suis complètement décalé par rapport à elle. Histoire d’être tranquille, je vivais la nuit. Je me couchais à 13 heures et me réveillais à 21 heures. Cette même année, une assistante sociale venait parfois discuter de la situation avec ma mère et moi. On faisait comme si tout allait bien. Je ne voulais pas qu’il arrive quoi que ce soit à ma mère et je ne voulais pas attirer l’attention sur moi.
Éloïse a longtemps souffert de l’alcoolisme de sa mère, au point d’en venir aux mains. Séparées, elles ont pu se reconstruire et de nouveau s’apprécier.
En fin d’année, ma mère m’a dit qu’elle allait vivre à Paris avec son nouveau compagnon et que, si je le souhaitais, je pourrais vivre chez mon père. J’ai accepté volontiers. C’était la porte de sortie ultime de vivre chez lui.
Aujourd’hui, je subis beaucoup moins la maladie de ma mère. Je lui téléphone peu. Je ne veux pas chercher les problèmes. Elle m’appelle assez souvent mais je ne réponds pas. C’est mal, je sais… je préfère m’occuper de ma santé. On se voit une semaine pendant les vacances et les rares fois où elle monte sur Paris, je fais tout pour que ça se passe au mieux. Malheureusement, je pense qu’elle ne changera jamais. Aujourd’hui, j’essaie d’arrondir les angles et de rattraper toutes les erreurs rattrapables.
Anton, 17 ans, lycéen, Paris
Crédit photo Pexels // CC Darcy Lawrey