Lena B. 09/06/2023

Ma mère, ses conneries et la prison

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Lena assiste depuis toute petite aux allers-retours de sa mère en prison. Quand celle-ci est dehors, elle sait que ça ne va pas durer.

La pire fois, c’est quand elle a séquestré quelqu’un. Elle lui a tiré une balle dans le genou, elle l’a laissé attaché pendant deux semaines à une chaise et elle lui a volé 100 000 euros. Mais lui, c’était un proxénète de filles de 14 ans, il n’était pas tout blanc. Bref, à cause de ça, le juge a interdit à ma mère de venir en Île-de-France pendant trois ans.

Ma mère est allée en prison beaucoup de fois. Ça a été difficile. Elle ne s’est jamais vraiment occupée de moi. Elle m’a eue très jeune, à 15 ans. C’était un bébé ! Elle est tombée enceinte, mais pendant six mois elle ne le savait pas, déni de grossesse. Mon père, lui, il avait 21 ans.

Quand les frères de ma mère ont su qu’elle était enceinte, ils l’ont cherché partout pour le tuer. Ensuite, je suis née. Du coup, c’est ma grand-mère et ma tante qui se sont occupées de moi. Ma mère avait arrêté l’école, elle sortait dehors avec ses copines, elle n’arrivait pas à s’occuper de moi.

Le début des problèmes

Vers 20 ans, elle a commencé à faire des conneries : conduite sans permis mais avec alcool, bagarres, vente de drogues (shit, beuh, cocaïne). C’était une racaille. Elle trainait avec une bande de filles, toutes des racailles. Elle conduisait depuis ses 16 ans, mais elle n’a jamais eu le permis. Quand ils l’ont arrêtée, elle avait bu et elle s’est battue avec la policière. C’est à ce moment-là qu’elle est partie en prison pour la première fois.

Depuis, elle y est retournée souvent. Elle a été dans plusieurs prisons, même ailleurs en France comme à Roanne, à Marseille et à Perpignan. Je n’allais pas trop la voir parce que c’était loin. Mais je suis quand même allée une fois à Roanne, à Fleury, et à Fresnes aussi.

Depuis que je suis petite, j’ai pas mal déménagé : de Stains à Villiers-le-Bel, puis Sarcelles, et Pierrefitte. Un jour, on est parties dans le Sud, dans la Drôme, parce que ma grand-mère voulait éloigner ma mère de ses mauvaises fréquentations. Ma mère avait un bracelet électronique mais elle l’a coupé, du coup elle est repartie en prison.

En CM1, j’ai écrit sur un papier « on va se suicider » mais en mode jeu, sauf que quelqu’un l’a pris au sérieux et a donné l’alerte à la maîtresse. Les assistantes sociales ont débarqué chez moi : elles croyaient que j’étais en danger, mais non. Elles pensaient que je vivais dans un endroit horrible, mais pas du tout. Ma mère a eu beaucoup de problèmes à ce moment-là, à cause de moi.

La vie quand elle est là

Quand elle revient à la maison, à chaque fois tout le monde est trop content, mais on sait aussi que c’est juste un passage, qu’elle va y retourner. D’ailleurs, quand elle sort, elle ne vient pas me voir en premier, elle va d’abord voir ses copines. Je m’en fous, je sais qu’elle viendra après.

Quand elle est là, elle fait à manger, genre des pâtisseries. Des fois, elle m’offre des écharpes et des bonnets qu’elle a fait dans les ateliers qu’elle suit en prison. Sinon, elle aime trop faire le ménage en mettant la musique à fond. Ça, c’est à cause de la prison : là-bas, elle trouvait ça trop sale. Elle est devenue maniaque maintenant. Mais pas autant que ma tante. Ma tante a passé dix ans en prison et, aujourd’hui, personne ne peut rentrer chez elle tellement elle est traumatisée par la saleté.

La dernière fois que ma mère est sortie, c’était en juin 2021. Pour l’instant, elle n’y est pas encore retournée. Elle a encore des affaires sur le dos qui doivent être jugées. J’espère qu’elle va aller aux procès, parce que quand elle n’y va pas, ils viennent perquisitionner à la maison.

Un jour, je sortais de mon bâtiment, il y avait trois mecs, en fait c’était la BAC, ils m’ont demandé où ils pouvaient la trouver. J’étais en sixième, je ne savais pas. Aujourd’hui, si c’était à refaire je lui enverrai un message pour la prévenir ou je mentirai. Mais là, sans le savoir, je les ai guidés jusqu’à elle. Elle dormait, ils l’ont prise, ils l’ont emmenée en prison. En septembre dernier, ils sont revenus. Ils m’ont prise pour elle, ils m’ont même menottée.

Papiers, démarches, vêtements : depuis que son copain est incarcéré, Luana s’occupe de tout. Elle a mis sa propre existence sur pause.

Capture d'écran de l'article "Mon mec en prison, ma vie à l'arrêt" illustré par la photo d'un téléphone à l'ancienne, comme ceux qu'on trouve dans les prisons américaines, avec un combiné noir, un cordon métallique et des inscriptions en anglais pour s'en servir, accroché sur un mur en béton gris.

Ma mère, je lui en veux un peu. Quand je vois les autres avec leurs parents, j’ai un peu la rage. Petite, je faisais style je m’en fichais, mais là, en repensant à l’enfance que j’ai eue, je me dis que j’aurais bien voulu avoir un père et une mère présentes. Je sais que je ne vais pas prendre le même chemin que ma mère. Son père à elle est mort, sa mère (ma grand-mère, celle qui s’est occupée de moi toute ma vie) n’était pas à la maison car elle travaillait sept jours sur sept (elle faisait le ménage dans les trains SNCF). Ma mère était livrée à elle-même avec ses frères et sœurs.

Un peu comme moi. Sauf que moi, j’ai ma grand-mère avec moi. Je l’admire. Elle, elle avait une bonne raison de ne pas être présente pour ses enfants.

Lena, 15 ans, collégienne, Valence

Crédit photo Pexels // CC Ketut Subiyanto

 

En France, 97 % des détenu·es sont des hommes. Pourquoi ?

Déjà, et c’est un fait, les femmes sont moins violentes. Elles sont socialement moins éduquées à démontrer leur force, à transgresser les règles, à dominer. Résultat : seules 18 % des personnes mises en cause par la police ou la gendarmerie pour un crime ou un délit sont des femmes, alors qu’elles représentent plus de la moitié de la population.

Les femmes passent moins de temps que les hommes en prison, parce qu’elles sont condamnées pour des infractions moins graves (escroqueries, vols sans violence, etc.). Les types de délits et de crimes sont donc différents en fonction du genre. C’est en matière d’infractions à caractère sexuel que l’écart est le plus grand : 3 % des personnes mises en cause sont des femmes, 97 % sont des hommes.

Les femmes sont plus souvent disculpées par l’enquête que les hommes. Quand elles sont condamnées, elles vont moins souvent en prison qu’eux. Elles récidivent moins, et elles jouent plus souvent un rôle secondaire dans les affaires.

La personnalité du ou de la mis·e en cause ainsi que sa supposée dangerosité sont aussi prises en compte lors du jugement : les femmes bénéficient donc plus souvent d’un aménagement de peine.

 

Pour en apprendre plus sur le rapport entre femmes, prison et violences, la ZEP te conseille d’écouter ce super podcast de Charlotte Bienaimé.

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