Luana V. 28/04/2023

Mon mec en prison, ma vie à l’arrêt

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Papiers, démarches, vêtements : depuis que son copain est incarcéré, Luana s’occupe de tout. Elle a mis sa propre existence sur pause.

Pour mon premier parloir, j’étais stressée, je ne savais pas du tout comment ça se passait dans une prison. J’étais dans une salle d’attente avec les familles de détenus. C’était assez silencieux, j’ai l’impression que personne n’osait parler. Je ne pensais pas que j’allais voir autant de monde. J’ai vu des parents, des grand-mères, des femmes de prisonniers… Surtout des femmes.

Elles m’ont toutes regardée, assez surprises de voir une jeune fille dans cette situation. J’ai regardé comment elles faisaient et j’ai fait pareil : on devait mettre nos affaires personnelles dans des casiers fermés à clé et se présenter avec une pièce d’identité. Les gardiennes les gardaient avec elles et nous les redonnaient à la sortie.

Le parloir pour aller voir mon copain en prison, c’est tous les samedis à 14 heures pile. C’est une habitude depuis un mois. Mais, en fait, ce n’est pas que le samedi parce que j’y pense tout le temps. Sa situation m’occupe plus la tête que ma vie à moi.

Tout gérer dans le dos de ma mère

Notre relation a commencé à distance. On vient tous les deux de Guyane, lui vivait toujours là-bas et moi en métropole. C’est le copain de ma petite sœur qui m’a mise en contact avec lui. Deux mois plus tard, il est venu en Europe pour y vivre. On s’est vus en vrai pour la première fois à Angers. C’était l’été, j’avais 20 ans, c’était la première fois que je voyageais seule. Il est venu ensuite dans ma ville, j’étais heureuse, jusqu’au jour où il devait revenir me voir. Je l’ai appelé plusieurs fois en vain : ça ne répondait pas.

Une semaine plus tard, c’est son avocat qui m’appelle, et il me dit qu’il est en prison. Vu que ce n’était pas la première fois, ça ne m’a pas étonnée. Il était déjà allé en prison en Guyane. J’avoue que j’étais quand même assez surprise mais je n’ai pas dramatisé. Pour moi, le plus important, c’était d’être là pour lui.

J’ai dû gérer pas mal de choses toute seule car ses sœurs ne sont pas ici à Brest : veiller à ce qu’il ait de l’argent, des vêtements. Ce n’était pas facile. J’habite avec ma mère et je dois lui mentir sur ce que je fais : elle n’est pas au courant que je suis en couple, et encore moins que mon petit ami est en prison. Je sais qu’elle n’approuverait pas cette relation.

Préparer sa sortie sous bracelet

Pour pouvoir aller le voir, son avocat m’a dit tout ce dont j’avais besoin comme papiers. Ces démarches m’ont pris une semaine. Puis, j’ai dû attendre deux semaines pour avoir mon droit de visite. Je suis allée à l’association « La Maison Bleue », c’est une petite maison juste en face de la prison de Brest qui accueille les familles des détenus afin de les héberger ou de les aider à obtenir un droit de visite. Une dame bénévole m’a reçue, elle m’a dit quels papiers me manquaient, j’ai dû revenir une deuxième fois : cette fois, c’était la bonne.

Pour le parloir, on a une pièce attitrée avec un numéro dessus et on est seule avec le détenu. La visite dure 50 minutes pour les détenus qui ont été jugés. Quand je l’ai vu dans la pièce, j’étais contente, il me souriait. Il était content, mais gêné de cette situation. Moi, c’était le contraire, j’étais détendue. On a beaucoup parlé de notre avenir et de comment l’améliorer, trouver du travail, avoir des enfants. Quand j’ai vu le gardien venir le chercher car la visite était terminée, j’avais les larmes aux yeux. C’est à ce moment-là que j’ai pris conscience qu’il n’allait pas repartir avec moi.

Borjan est allé rendre visite à son frère en prison pendant deux ans, malgré le trajet interminable et les décisions arbitraires des gardiens.

Capture d'écran de l'article "mon frère en prison, c'est ma famille qu'on condamne" illustré par une porte de prison blanche fermée avec marqué "accueil des familles" au dessus sur un fond jaune.

Il a été condamné à huit mois de prison, mais avec un bon comportement, il pourrait sortir dans trois mois avec un bracelet. C’est moi qui m’occupe avec sa sœur de tous les papiers pour sa sortie sous bracelet, l’attestation d’hébergement par exemple.

Qu’il soit en prison me bloque dans mes projets. Je veux travailler en tant que conseillère de mode dans la haute couture et avoir mon appart. Mais là, je lui accorde tout mon temps, je pense à lui tout le temps, pas à moi. Je mets de côté mes projets parce qu’il est dans une situation plus délicate que moi.

Luana, 20 ans, en recherche d’emploi, Brest

Crédit photo Pexels // CC RODNAE Productions

 

 

Parloir : le rendez-vous des femmes

Aller rendre visite à un·e détenu·e au parloir, c’est aussi lui ramener du linge, s’occuper des démarches administratives, maintenir le lien avec le reste de la famille, sacrifier du temps sur sa vie perso… Tout ça sans toucher un centime. Et sans surprise, c’est plutôt une habitude de femmes.

Au moins 60 % des visites enregistrées par l’administration pénitentiaire sont effectuées par des femmes, contre 16 % par des hommes (pour les 24 % restants, le genre n’est pas précisé).

Les principales visiteuses des détenu·es, ce sont les (ex) conjointes. Les mères visitent aussi beaucoup leurs enfants en prison, trois fois plus que les pères.

On pourrait croire que si les femmes visitent plus que les hommes, c’est parce que les hommes sont plus souvent incarcérés. En réalité, ce n’est pas l’explication, puisque dans le cas inverse, seules 15 % des femmes détenues sont visitées par leur conjoint. Quand une femme est en prison, ce sont quand même les femmes qui viennent le plus la voir.

Non seulement les femmes sont beaucoup plus présentes que les hommes, mais elles sont aussi plus efficaces : les détenu·es obtiennent plus vite des droits de visite et voient plus souvent leurs autres proches lorsque ce sont des femmes qui s’occupent de l’administratif et de la logistique.

La prison apparaît souvent comme un monde hyper masculin, mais en coulisses, ce sont bien les femmes qui charbonnent !

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