Militante féministe : hier les insultes, aujourd’hui une balle
Aujourd’hui, 3:07 environ. Je suis dans mon lit, en train d’essayer de dormir. Une explosion dans mon appartement.
Je mets quelques secondes à réaliser, au début je ne sais pas dans quelle pièce c’est, puis j’entends des chutes de débris dans la cuisine.
Un jet de pierre, ça ne troue pas un rideau
Je me lève, je vais vers la fenêtre, je soulève le rideau et à travers le carreau je vois clairement une voiture à quelques mètres en face (je précise que mon appartement est au premier étage), intérieur éclairé.
Le conducteur est en place et côté passager, un mec en train de rentrer dans la voiture.
Je me souviens qu’à ce moment là, mon regard croise les leurs et dans ma tête je me dis qu’il faut que je filme mais que le temps que je sorte mon téléphone, ce sera trop tard, ils seront partis.
Alors j’ai le réflexe de lire le numéro de la plaque d’immatriculation et de le répéter mille fois dans ma tête alors que je prends ce qui tombe sous mes mains tremblantes (un calepin de papier d’Arménie) pour le noter. Entre temps, ils sont partis.
J’appelle la police pour signaler un jet de pierre. Entre temps, ils sonnent à ma porte, enfin à mon interphone.
En attendant, je ferme mes volets, et puis j’observe le double trou incrusté dans le double vitrage à hauteur de tête. Deux jolis trous bien ronds, celui du côté extérieur plus fin que celui de l’intérieur. Je rabats le petit voile qui me sert de rideau et puis je remarque à ce moment là qu’il est également troué.
À ce moment je me dis que je ne sais pas, que la balistique c’est pas ma spécialité, que je suis parano, mais que quand même, un jet de pierre ça ne troue pas un rideau.
Je cherche par terre le projectile que je ne trouve pas, il y a de fins débris de verre. Quand la police arrive, un officier me fait immédiatement remarquer quelque chose que je n’ai pas vu : le trou dans le mur, à hauteur de plafond. C’est donc bien une balle. Quelqu’un a tiré une balle dans ma fenêtre avec un flingue. Un flingue. Une balle.
J’appelle toutes les femmes à la révolte
Un flingue. Une balle. Parce que les insultes ne suffisaient pas. Parce que les menaces (dont des menaces de viol) n’ont pas réussi à me faire taire.
Depuis que je suis arrivée dans ce quartier, il y a eu des phases avec des pics de violence.
Au début, je répondais au harcèlement de rue par le dialogue, je me posais sur les bancs pour discuter, pour essayer de leur expliquer pourquoi est-ce qu’il fallait arrêter de me siffler, de m’appeler « Ho la blonde », de me suivre dans la rue, de me demander mon numéro de téléphone, de m’insulter, de me faire des remarques sur mon physique.
Parfois, j’ai eu le sentiment d’être comprise, mais souvent, je me heurtais à des murs misogynes. Parce que je crois au dialogue et à l’éducation, je crois aussi que les gens peuvent changer, surtout quand ils sont jeunes. C’est pourquoi à quelques reprises certains sont même venus boire des bières chez moi. Ils ont vu certaines choses, des photos d’actions Femen (dont j’ai fait parti pendant trois ans).
Un jour ils ont remarqué mon tatouage « Marguerite Akbar ». Ici les commérages de quartier vont bon train. L’info a du circuler.
Et puis quand j’en ai eu marre, quand j’ai compris qu’expliquer ne servait à rien, c’est moi qui suis devenue un mur.
Je n’ai jamais insulté, je n’ai jamais frappé qui que ça soit malgré le fait qu’ils aient essayé, eux, de me frapper. J’ai continué à répondre, l’esprit didactique en moins, mais mes convictions n’ont jamais faibli : il est hors de question que j’accepte la moindre remarque sexiste.
L’espace public ne leur appartient pas plus qu’à moi. Je continuerai d’y circuler librement.
Je ne baisserai jamais la tête, même sous les balles.
Je vous demande de partager ce témoignage.
Et surtout, j’appelle les femmes à la révolte. Cela peut prendre plusieurs formes. Et chacune fait comme elle peut. Si aujourd’hui nous répondions TOUTES systématiquement, demain le harcèlement de rue n’existerait plus.
Marguerite, 25 ans, Marseille
Crédit photo Marguerite S.