Je m’inscris à Louis-le-Grand dans le dos de mes parents
Je travaille dur depuis des années pour avoir les notes nécessaires pour entrer à Louis-le-Grand. Pour enfin être prise dans un des lycées les plus prestigieux de Paris. Tout me fait rêver dans cet établissement. Le décor est sublime, même si je n’ai vu que des photos. L’architecture de ces grands bâtiments est magnifique. Rien à voir avec mon collège à Aulnay-sous-Bois. Les petits « jardins » sont très jolis. L’ambiance me paraît idéale pour réussir mes études.
La charge de travail correspond tout à fait à ma personnalité. J’aime travailler sous pression pendant longtemps. J’aime côtoyer de nouvelles personnes et apprendre plein de nouvelles choses beaucoup plus poussées. Ce lycée pourrait être un vrai tremplin pour mon avenir !
Mais il y a deux inconvénients : mes parents.
Mes parents s’inquiètent parce que je suis une fille
Moi, ça ne me dérange pas de partir tôt le matin et de rentrer tard le soir, de faire une heure de RER toute seule. Mes parents, si. J’ai toujours accepté qu’ils ne me laissent pas trop sortir. J’habite à cinq minutes du collège donc, le soir, je dois rentrer directement sans avoir de retard. J’ai beau leur expliquer à quel point ça compte pour moi d’aller dans ce lycée, ils s’en fichent. J’ai pensé à l’internat mais aucune chance qu’ils acceptent. Déjà que dormir chez un proche m’est impossible, alors en internat…
Je sais pourquoi ils sont inquiets. Imaginez-vous une jeune fille un peu naïve comme moi et pas très forte dans une ruelle mal éclairée une nuit d’hiver. La probabilité de se faire agresser est plus élevée que si j’étais simplement un garçon. J’ai d’ailleurs un grand frère qui, lui, a droit à toutes les libertés du monde.
Je me demande parfois si l’on m’aurait traitée différemment si je n’avais pas été une fille ? L’attitude de mes parents envers lui est tellement différente. S’il veut manger dehors, il peut. S’il veut sortir tôt et rentrer tard, il peut. S’il veut acheter ce qu’il lui plaît, il peut. S’il ne veut pas participer aux tâches ménagères, il peut.
J’imite la signature de mes parents
Moi, en tant que fille, ma vie est surtout faite d’interdits. Je ne m’autorise pas à me balader seule. À sortir le soir, même s’il fait beau. À m’habiller légèrement en été. Peu importe les saisons, c’est vêtements longs jusqu’au tibia et amples de préférence, toute l’année. Je pense qu’on ne devrait pas vivre dans une constante peur simplement parce qu’on est une fille. On a totalement le droit de marcher seule en pleine nuit, de s’habiller comme on le souhaite ou de juste profiter des opportunités qui nous sont accordées. Ce serait vraiment dommage de laisser passer une chance d’aller dans un lycée aussi prestigieux à cause de mon genre.
Djery rêvait d’entrer à la prestigieuse université d’Assas pour ses études de droit. on lui a toujours répété que c’était inaccessible pour les jeunes de Seine-saint-Denis. Mais elle s’est accrochée à ses rêves.
J’ai donc décidé d’entreprendre toutes les démarches pour entrer à Louis-le-Grand dans le dos de mes parents. Je trafique mon emploi du temps pour passer plus de temps avec mes amis et aller sur Paris. J’imite la signature de mes parents pour envoyer les documents d’inscription. Je récupère tous les papiers nécessaires sans qu’ils ne le sachent et je fais toujours attention à donner mon numéro personnel et mon adresse mail. Je fais le maximum de démarches en ligne. Bref, je mets toutes les chances de mon côté. Pour l’instant, j’évite d’en parler. J’attends de voir si je suis prise pour tout avouer.
Elisa, 14 ans, collégienne, Aulnay-sous-Bois
Crédit photo Hans Lucas // © Rose Lecat