Je ne suis pas votre « jeune de banlieue »
Ma ville du 93 est super calme, même au centre-ville. Dans mon quartier, on est à côté des bois. Il y a quelques immeubles, mais majoritairement des pavillons qui longent la route. Pourtant, il y a des élèves de mon collège qui essaient de se donner une street cred, en se donnant une réputation de « mauvais·e élève », de « gars de la rue » ou encore de personne « violente ». Je les trouve cringe [argot américain : qui met mal à l’aise, ndlr] avec leurs clichés.
Comme cet élève qui voulait nous faire croire qu’il avait redoublé trois fois en mentant sur son année de naissance, puis que deux fois en nous disant une autre année encore. Pour finalement nous dire sa supposée vraie année de naissance… et qu’il n’avait en fait pas redoublé du tout.
Il y a aussi eu cet autre élève qui nous disait qu’il venait de la rue, de Medellín plus précisément, en s’inventant des origines colombiennes (ça me fait toujours rire). Ou encore celui qui se donne une image du « méchant » en insultant les gens et en leur faisant peur, en les menaçant… alors qu’il est adorable par message et dans la vraie vie.
Celles et ceux qui idéalisent la violence
« Pourquoi s’inventer une vie de bandit parce qu’on vient du 93 alors qu’on ne l’est pas ? » C’est ce que je me dis en blâmant les « bandeurs de cité » ou les « bandeurs de rue » de mon collège, les menteurs et menteuses qui donnent une représentation dangereuse de notre ville. Ils ne viennent souvent même pas de cité ou de zones sensibles, mais de résidences pavillonnaires ou du centre-ville.
Je ne me reconnais pas dans cette représentation qu’elles et ils en donnent, en glorifiant la rue, en voulant le mal aux policier·es, en idéalisant la délinquance, en voulant s’inventer un background de « mauvaise personne ». Notre ville ne fait que rarement parler d’elle, beaucoup de gens ne la connaissent même pas.
Parallèlement, dans mon collège, la plupart des personnes venant de quartiers à mauvaise réputation sont celles qui cherchent à s’éloigner le plus des clichés des banlieusard·es, et de la fameuse street cred en évitant de parler d’où elles et ils vivent ou de ce qu’il s’y passe.
Toujours les mêmes images
En quatrième, j’ai commencé à m’intéresser un peu plus au cinéma, aux reportages et à la musique. Surtout au rap français. La représentation de la banlieue y est souvent réduite à des immigré·es, de la violence, des armes, de la drogue, de la délinquance, des mauvais·es élèves.
Comme dans La Haine. À un moment, on voit Vinz, Hubert et Saïd draguer une fille, se faire recaler, puis être « intenables » : crier, insulter des gens et ceux de la sécurité, sans comprendre pourquoi ils le font. Comme dans Athéna aussi : j’ai entendu tellement de critiques négatives sur ce film que ça m’a dégoûtée d’aller le voir. Ou bien, dans les textes d’artistes comme Booba, Kalash Criminel et dans les reportages de @PoliceAction. On y voit des jeunes de mon âge fumer, se battre ou dealer de la drogue.
Je ne me suis pas reconnue, et je n’ai pas reconnu mon quartier non plus.
C’est quoi un « jeune de banlieue » ?
Les commentaires que pouvaient laisser les gens sous les reportages étaient des trucs du genre : « Ce sont des voyous » ; « Ils devraient être en prison… » Je me disais que c’étaient sûrement des campagnard·es ou des vieux Parisien·nes bourgeois·es et retraité·es. Jusqu’à ce jour, en physique-chimie.
Il y avait un ancien astronaute (ou quelque chose comme ça) qui venait une fois toutes les deux semaines nous expliquer une mission pour aller sur Mars. Un jour, la sonnerie a retenti et tout le monde s’est précipité vers la porte en ne portant aucune attention au prof ou à « l’astronaute ». Au cours d’après, le prof nous a fait la morale en criant : « Vous avez agi comme des jeunes de banlieue ! Vous vous foutez des cours, vous voulez seulement rattraper le bus ! » Il a ensuite continué en nous disant que ce n’était pas poli et que le monsieur était venu pour nous.
C’était hyper bizarre de voir que même mon prof, que je voyais presque tous les jours au collège et qui enseignait lui-même dans le 93, croyait aussi à ces clichés. Que veut dire « être des jeunes de banlieue » ? Comment mon ancien prof de physique-chimie l’avait dit, c’était comme un reproche, quelque chose dont on devrait avoir honte. On était malpoli·es : des jeunes de banlieue, (donc) malpoli·es.
Leur street cred bidon
Je trouve que les gens ont un regard assez malsain sur la banlieue. On ne se fie qu’à sa mauvaise réputation. On ne cherche pas à comprendre pourquoi il s’y passe toutes ces choses. Peut-être qu’elles sont dues à des problèmes d’argent ou familiaux (souvent floues dans les films). On montre très peu la partie calme et inoffensive de la banlieue ou l’intelligence, la politesse et le respect d’une grosse partie des banlieusard·es.
D’un côté le trafic qui mine le quotidien, de l’autre la convivialité qui fait la vie du quartier… Visite guidée et contrastée du quartier de la Planoise dans les yeux de Louna.
Mais au final, qui blâmer ? Les jeunes de banlieue placé·es de force dans des cases, dans lesquelles elles et ils cherchent sûrement une identité ? Une personnalité ? Une manière de faire partie d’un « groupe » ? Ou bien les médias et divertissements pour en faire des généralités et ne pas fournir assez de modèles auxquels s’identifier ?
Après avoir fait des recherches (cela m’a pris du temps !), j’ai trouvé un média qui déconstruit les clichés des banlieues, Brut, et trouvé le film Swagger d’Olivier Babinet. Durant un an, l’équipe de tournage a suivi onze adolescent·es et enfants de quartiers défavorisés en Seine-Saint-Denis. J’ai l’impression que les jeunes que je connais sont comme ceux de ce documentaire. Il montre comment les jeunes de banlieue sont vraiment : avec des réflexions et des personnalités étonnantes.
Billy, 14 ans, collégienne, Seine-Saint-Denis
Crédit photo Pexels // CC Cottonbro
« Est-ce qu’Aulnay-sous-Bois ça craint ? »
C’est la première suggestion qui apparaît quand on tape le nom de la ville dans Google. Et c’est pareil pour à peu près toutes les villes du 93…
En 2005, Zyed Benna et Bouna Traoré, deux ados, meurent en tentant d’échapper à la police à Clichy-sous-Bois. Les mois suivants, les émeutes et les bavures policières se multiplient, et les médias relaient toujours les mêmes images : insécurité, violences, trafics.
Plus de quinze ans après, les préjugés sur le 93 n’ont (presque) pas disparu. Face à ce constat, trois journalistes de la ZEP ont passé six mois à Aulnay-sous-Bois pour donner la parole aux jeunes qui y vivent.
Dans une série de 20 podcasts, elles et ils nous parlent de leur ville, loin des clichés souvent relayés dans les médias, ou par celles et ceux qui n’y vivent pas.
Découvre leurs histoires de quartier et leurs endroits préférés en te baladant avec eux dans les rues d’Aulnay.