Abdel M. 21/01/2022

Petit, je voulais devenir policier comme dans les séries

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Abdel a renoncé à son rêve d'enfant : devenir policier. Les séries lui avaient donné cette envie, mais la réalité l'a vacciné.

Petit, j’étais fasciné par la police, les interventions, les contrôles, l’action. Tout ça m’a vraiment donné l’envie d’être un « condé », un policier. Après les cours, le soir et le week-end, je regardais toujours les émissions de policiers comme 90’ Enquêtes, NCIS, Les Experts : Miami, Monk, et Scarface. Dans certains films qu’on voyait à la télé, il y avait beaucoup d’action et c’était mon kiff de voir ça. Plus j’ai grandi, plus j’ai compris que les films ce n’était pas la vraie vie. Mais une illusion.

Au début, je subissais des contrôles de police plutôt normaux. Ensuite, ça s’est dégradé : on me manquait de respect, on me parlait mal. Je me suis d’abord dit : « C’est rien, c’est leur travail. » Mais, après plusieurs reprises, c’est devenu une accumulation. C’était trop ! Ils étaient relous à toujours contrôler pour rien.

Ils me soupçonnaient d’être un bosseur

Quand j’avais 16 ans, j’ai notamment été choqué par un premier contrôle. Je venais de sortir de chez moi, à Aubervilliers. Il y avait des tarmos [motards] à la cité. Ils étaient deux avec leurs motos et ont essayé de m’interpeller, puis m’ont demandé ma carte d’identité. En fait, ils me soupçonnaient d’être un bosseur, c’est-à-dire une personne qui vend des produits illicites dans le quartier. Alors que j’habitais là et que je venais de sortir de mon bâtiment !

Ensuite, ils ont continué avec des questions cheloues auxquelles je ne répondais pas, car je n’avais rien à faire dans ces histoires. Puis, ils m’ont dévisagé, m’ont mal parlé, ont menacé de me gifler et de m’emmener au poste si je ne parlais pas. Après ça, l’un d’eux est parti voir si je n’avais pas caché du shit dans les buissons.

Ça existe encore, un policier gentil

En attendant, son collègue policier est resté avec moi. Il était très cool. On faisait « connaissance », on parlait de tout. On rigolait carrément ! Il venait du même pays que moi, le Maroc. On s’entendait bien, il était gentil et rassurant. Il m’a dit de rester serein et de répondre aux questions, que tout se passerait bien. Lui au moins, il m’a bien rassuré.

C’est pour ça : je ne dis pas que tous les policiers sont méchants. Il y en a aussi qui nous protègent et nous respectent. Encore heureux que ça existe encore des policiers gentils comme ça. L’autre est revenu et a commencé à me fouiller, à me demander où j’allais. J’ai répondu que j’allais jouer au foot et, là, son collègue m’a dit que c’était bon, que je pouvais partir. Fin du contrôle.

Puis, j’ai commencé à regarder des films et des séries sur la ségrégation aux États-Unis, Martin Luther King, etc. C’était vraiment choquant. Trop de violence, ça frappait les gens qui manifestaient, même les mères, les vieux et les vieilles, les jeunes. Ça m’a vraiment énervé contre la police. J’étais frustré.

Pendant le déconfinement, contrôlé gratuitement

Plus récemment, il y a eu un autre contrôle. On venait de se déconfiner et il y avait grave des cas. On était posés devant un stade avec mes potes. Puis, il y a la BST (brigade spécialisée de terrain) qui est passée. Ils nous ont guettés et sont descendus de leur véhicule. Ils sont venus vers nous et nous ont contrôlés. Gratuitement, alors qu’on n’avait rien à se reprocher.

On n’avait rien sur nous, on était juste assis et on regardait le match devant nous. Après le contrôle, ils nous ont dit de ramasser tous les déchets partout autour de nous, avec nos mains. Les policiers nous ont regardés ramasser les ordures par terre, on aurait dit que ça les amusait. Quand on a fini, ils sont partis.

Pour Mamadou, police rime avec course-poursuite. Il croise les policier·e·s quasiment tous les soirs dans son quartier, et a choisi d’en jouer.

Depuis toutes ces histoires avec la police, ils me soûlent, m’énervent, m’agacent. Ils ont vu qu’on était Arabes et Noirs et sont venus nous faire chier. Ils nous ont pris pour des chiens pour tout ramasser. Il n’y avait aucun respect.

Dans la réalité, nous subissons une injustice de la part des flics. Souvent, avec mes potes, on fait des débats sur ça et chacun raconte ses histoires avec la police (contrôles, GAV, dépôts). Les Arabes et les Noirs ont toujours reçu des insultes de la part des policiers. On est confrontés à des contrôles pas comme à la télé. Les médias et les émissions de télé qui nous parlent de la police nous montrent que ce qui les arrange. Voilà pourquoi je ne veux plus être policier. Ça me dégoûte !

Abdel, 18 ans, lycéen, Aulnay-sous-Bois 

Crédit photo série NCIS : Enquêtes spéciales – Saison 19 // © Sonja Flemming/CBS

 

Les contrôles discriminatoires

Les jeunes racisé·e·s sont plus contrôlé·e·s

Les 18-25 ans sont sept fois plus contrôlé·e·s par la police que le reste de la population. Parmi elles et eux, ce sont les jeunes hommes noirs ou arabes qui en subissent le plus : 80 % d’entre eux ont été contrôlés ces cinq dernières années, et ils ont 20 fois plus de risques de l’être.

L’IGPN enquête sur plus de 500 cas de violences

En 2020, l’inspection générale de la Police nationale a reçu 5 420 signalements. 1 101 enquêtes judiciaires ont été ouvertes, la moitié pour violences. 38 enquêtes ont également été ouvertes pour injures à caractère raciste ou discriminatoire.

L’État reste passif face à ce problème

La France est régulièrement épinglée par l’Union européenne et les ONG à cause de ses règles trop souples en matière de contrôles de police. L’État a plusieurs fois été condamné pour faute dans des affaires de bavures policières, mais rien n’y fait… les lois n’évoluent pas.

 

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