La peur du chômage a pris toute la place dans nos vies
Mon père travaille dans la sécurité. Parfois de jour, parfois la nuit. Il prenait souvent du temps pour moi avant la pandémie. Nous allions au restaurant, nous avions de grandes discussions sur la vie. Des trucs de père et fille. À cette époque, j’avais l’impression de pouvoir tout lui raconter. C’est notre complicité qui m’a donné envie de le rejoindre en France en 2016. J’ai été élevée par ma grand-mère, en Guinée. Ma grand-mère c’est toute ma vie. La meilleure des meilleures.
Il ne refuse aucune mission de peur d’être viré
Mais depuis le début de la pandémie je vis presque seule. Avec mon père, on ne se voit plus. Il travaille le soir et le matin. À son retour, il va dormir tandis que moi je suis en cours. Vers 17 heures, il se lève, se prépare et retourne à son boulot. Ainsi de suite. Parfois, il travaille le week-end. Quand ce n’est pas le cas, il est enfermé dans sa chambre et se repose. Tout ça c’est à cause du fait qu’à tout moment, il peut perdre son travail. Il ne me dit rien, mais je vois qu’il est inquiet. Il ne refuse aucune mission de peur d’être viré. Alors on ne se parle plus. On se croise. Chacun fait sa vie. Sa peur du chômage a pris toute la place dans nos vies.
À force de vivre comme ça, j’ai appris à me débrouiller seule. Dans un sens, ça me permet de gagner en maturité. Je vais faire mes photos d’identité toute seule. Je remplis les documents administratifs toute seule. Je prends mon rendez-vous chez le dentiste toute seule. Des trucs qui m’auraient stressée avant. Pourtant, j’aimerais quand même qu’il soit là. Puis, il y a tout ce silence à la maison qui prend de la place. Je déteste ça. J’essaie de m’occuper en faisant mes devoirs ou en étant sur mon téléphone, mais le silence est toujours là.
Deux fantômes dans une maison
Je commence à m’habituer à cette situation. Je ne ressens presque plus l’ennui, même si certains jours, le manque est là. Parfois, j’ai l’impression qu’on se voyait plus quand il venait en Guinée. Elle me manque cette époque. J’aimerais pouvoir revenir à la situation d’avant. Lui parler de tout ça, mais on ne se voit pas assez pour que je lui dise ce que j’ai sur le cœur.
La maladie du père d’Angéla l’a plongé dans le chômage et la précarité. Et elle avec, un week-end sur deux : « J’admirais mon père pour continuer à vivre, à m’élever, malgré ça. »
Je ne souhaite à personne de vivre de cette manière avec ses parents. Comme avec deux fantômes. Un parent devrait prendre du temps pour ses enfants. Même si ce n’est pas tous les jours, au moins les week-ends. Passer du temps avec eux. Savoir comment ils vont. Avoir une discussion. S’amuser. Rigoler sans penser au travail ou à l’école. Juste être dans le cocon familial et kiffer !
Wendy, 17 ans, lycéenne, Nanterre
Crédit photo Hans Lucas // © Odile Gine