Yvan L. 10/09/2022

Moi, mes potes et les Grands, en bas des bâtiments

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Yvan et ses potes passent leurs soirées dehors à écouter les histoires des Grands du quartier, et leurs précieux conseils sur la vie.

« On n’est pas méchants, c’est juste on donne pas d’amour. » Vu que moi et un pote, nous faisons du rap, les Grands de la cité nous disent de leur faire écouter ce qu’on a écrit. Ils nous disent si c’est bien ou pas. Ils nous disent de ne jamais mentir quand on écrit nos textes, car ça ne sert à rien de mentir sur ce qu’on n’a pas fait. Leurs avis comptent pour moi, car ils connaissent la vie mieux que nous.

Ils ont entre 25 et 30 ans. Ils nous parlent d’eux quand ils étaient jeunes, de leurs problèmes, de pourquoi ils ont été en prison et pourquoi ils sont dans la rue maintenant. La communication avec eux, c’est important, car ça nous aide à ne pas faire comme eux.

En bas des bâtiments, notre rendez-vous du soir

Le soir à la cité, nous sommes tous réunis, moi et mes potes et les Grands, en bas des bâtiments jusqu’à pas d’heure. Ça peut être de 20 heures jusqu’à minuit, mais ça se passe plutôt le vendredi et le week-end. Souvent, je ne vois pas le temps qui passe. Ça a toujours été comme ça.

Avec les Grands, nous mangeons, nous parlons de tout, comme par exemple de la religion (l’islam et le christianisme). Ils nous parlent des principes religieux par rapport à notre vie, ils nous donnent des conseils sur ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire. Comme de ne pas essayer de s’en sortir dans la rue comme eux ils font ou ont fait, c’est-à-dire de ne pas dealer. Car il y a des conséquences à tout ça (la prison, la mort…).

J’aime ces moments où ils nous racontent des histoires. Je trouve qu’ils sont bienveillants envers nous, même quand nous faisons des bêtises. Ce qu’ils racontent, ce sont des leçons de vie pour moi. Ils m’apprennent beaucoup.

Les Grands me poussent à continuer l’école

Ils m’apprennent aussi des choses sur des sujets que je n’apprends pas forcément à l’école, comme le fait qu’en étant à l’école, on ne pourra pas atteindre la plupart de nos rêves. Et je suis un peu d’accord avec eux : aujourd’hui, la plupart des gens qui ont fait des longues études gagnent moins bien leur vie qu’un dealer. Alors, des fois, j’ai envie de faire comme les Grands de chez moi.

Ils ont le rôle de gardiens, de conseillers, parfois même de policiers. Les Grands veillent sur les plus jeunes et cimentent le quartier. Ils ont remarqué le rap de Sidy et l’ont fait signer dans un label. Ils ont aussi défendu Alissia contre un harceleur sexuel.

Capture d'écran de la miniature de l'article "J'appelle les Grands, pas la police".

Pourtant, ils me poussent à continuer et à rester à l’école. Il y en a qui ont laissé tomber et qui ont essayé de s’en sortir dans la rue… mais, dans la rue, ce n’est pas tout le monde qui s’en sort. Et, si je fais de l’argent facile en arrêtant l’école, je pourrais peut-être, aussi, ne pas avancer dans ma vie.

Des fois, quand ma mère me voit avec eux, elle me gronde quand je rentre, car elle a peur que je finisse comme eux. Mais moi, je la rassure, car je sais ce que je veux faire : je veux être cuisinier.

Yvan, 16 ans, lycéen, Émerainville

Crédit photo Pexels // CC cottonbro

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