Avec mon père, on vivait sans gaz et sans électricité
Suite à une épicondylite chronique, mon père n’a pas pu travailler pendant deux ans. C’est l’usure de l’os du coude, suite à des mouvements répétitifs en cuisine, une maladie qu’il gardera à vie. Après cet arrêt maladie, il n’a pas réussi à retrouver du travail, car personne ne voulait l’embaucher à cause de ça. Il s’est retrouvé au RSA. C’est à ce moment-là qu’on a commencé à vivre dans la précarité.
Jusqu’à mes 17 ans, j’ai vécu un week-end sur deux chez mon père, sans gaz et sans électricité. On a trouvé des alternatives. Et vécu beaucoup de bons moments, malgré tout.
Des journées au McDo pour les prises électriques
Quand j’étais plus jeune, on avait de temps en temps des petites coupures d’électricité. Je me rappelle d’une fois où une amie de mon père et son fils, avec qui je m’entendais super bien, étaient venus chez nous pour jouer et on avait eu plusieurs coupures.
Au collège, c’est devenu plus fréquent. On passait nos journées au McDo car il y avait des prises électriques. Il emmenait son PC pour jouer au poker et, de temps en temps, il me le prêtait pour que je puisse jouer à mes jeux. Passer mes week-ends au McDo ne me rendait pas triste, ni même honteuse. Au contraire, j’étais contente de retrouver mon père et de pouvoir passer un peu de temps avec lui.
Dans notre cave, il avait installé un bureau avec mon ordinateur et son PC. On y passait nos soirées à jouer, puis je retournais en haut dans l’appartement pour aller dormir. Pour nous laver, on allait chez un ami à lui. C’était quelqu’un que mon père avait aidé lorsqu’il était dans la merde, des années auparavant.
J’admirais mon père
Mes parents étaient séparés. Étant donné que j’allais chez mon père un week-end sur deux, je n’ai pas vécu dans cette situation à 100 %, contrairement à lui. Mais jamais je ne me suis plainte de cette situation. J’admirais mon père pour continuer à vivre, à m’élever, malgré cela. Il faisait tout pour me rendre heureuse et s’en voulait un peu de me faire passer mes week-ends avec lui, au McDo et dans la cave. Mais ce qu’il ne comprenait pas, c’est que je n’en avais rien à faire d’où j’étais, du moment que c’était avec lui. C’est peut-être bizarre à dire, mais je garde de bons souvenirs de cette période « McDo-cave ».
Au bout d’un certain temps, on a récupéré l’électricité, mon père a acheté une gazinière-four électrique pour qu’on puisse faire à manger. Pour nous laver, on faisait bouillir de l’eau (c’était long pour remplir une bassine), et on l’utilisait mélangée à de l’eau froide… Sinon, c’était trop chaud. On faisait la même chose pour faire la vaisselle. Pour laver nos vêtements, on allait au lavomatique, mais le plus souvent je les lavais chez ma mère. Par contre, on n’a jamais récupéré le gaz, et c’était la galère en hiver. Nos chauffages étaient au gaz (super) donc, la nuit, il m’arrivait d’avoir froid. Je me réchauffais avec une bouillotte, ou bien je mettais un pull.
La précarité a plusieurs visages. Jusqu’à ses 18 ans, Maëva a vécu du RSA, ainsi que des aides des Restos du cœur et de la Croix-Rouge, avec sa mère. En première, elle a arrêté le lycée, pour bosser et l’aider.
Tout s’est terminé fin 2018 car mon père a déménagé dans le Sud. Son départ a pu arranger les choses, car il a trouvé du travail. À Rennes, les médecins lui déconseillaient de travailler dans la restauration, sa passion. Malgré ça, il a continué comme cuisinier car il ne voulait pas faire autre chose. Il va mieux et je suis contente pour lui. Ce que je vais dire va peut-être vous paraître égoïste, mais ça m’embête qu’il soit heureux loin de moi, alors que quand il était avec moi, il ne l’était pas.
Angéla, 19 ans, étudiante, Rennes
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