Précarité étudiante : pendant mes études, j’étais en mode survie
Quand il a fallu quitter le domicile familial pour entamer ma licence de sociologie, la précarité, j’ai été obligée de cohabiter avec.
Toute ma licence, j’ai dû jongler entre payer un loyer à 300 euros, les charges, internet, une carte de transport, à manger, des livres et autres articles en ligne, renoncer à me cultiver et à me sociabiliser. Tout ça, avec 450 euros de bourse.
Pas possible d’aller voir le dernier film dont mes potes se faisaient le plaisir de brosser une critique autour d’un verre. Pas trop les moyens d’aller à cette expo, pourtant à un prix avantageux pour les étudiant·e·s, encore moins d’aller à un week-end sur un coup de tête…
Ma calculatrice était ma meilleure amie
Quand je faisais mes courses, la calculatrice était ma meilleure amie : faire les fins de marchés, un parcours obligé. Chaque mois, je priais pour ne pas avoir un imprévu. Finir la fin du mois avec 50 euros c’était un exploit. Heureusement que j’avais de l’aide de mes parents de temps à autre… quand ils pouvaient.
Le mouvement #LaPrécaritéTue fait suite à la tentative d’immolation de l’étudiant Anak K. le 8 novembre dernier devant le Crous lyonnais. Un geste politique pour alerter sur la précarité étudiante : « On a tout le temps la crainte de faire la dépense de trop ».
Précarité étudiante : « Quand ma maman me demande ce que j’ai mangé, je lui invente des repas, je lui dis que j’ai mangé, ça, ça et ça… » https://t.co/7v4FRF5pqD
— Le Monde (@lemondefr) November 26, 2019
Mes parents sont des immigrés d’Afrique noire. Leur parcours en France depuis notre arrivée sur le territoire français est synonyme de précarité, de pauvreté, de combativité dans le silence et la résilience. Pour ma part, je ne veux pas être qualifiée de résiliante. Je le suis bien malgré moi. La précarité, bien avant la fac je l’ai connue. Elle et moi, nous nous toisions de loin.
Quand il fallait payer les timbres pour ma carte annuelle de séjour étudiante, c’était la révision totale du budget, qui était de 45 euros à Tours et de 75 euros à Bordeaux. Les prix sont totalement arbitraires d’une ville à l’autre et basés sur quoi ? Personne ne nous le dit et c’est une économie parallèle sur le dos des étudiant·e·s étrangèr·e·s. Aucune folie, aucune insouciance n’était permise. Finir le mois, penser au prochain…
Mes années de master à Bordeaux et à Nantes n’ont pas été mieux. J’ai juste vendu ma force de travail dans des jobs de plongeuse les jeudis, vendredis, samedis, de 20 heures à 23 heures, ou de vendeuse intérimaire pendant les vacances, de serveuse en extra… Pensant investir cette force pour mon avenir… Lol.
L’argent, une angoisse mensuelle
En master 2, il m’est arrivé d’avoir des crises d’angoisse parce que je ne savais plus comment j’allais pouvoir payer mon loyer de 430 euros toutes charges comprises, dans le délai exigé par l’agence. Mon salaire de plongeuse de 300 euros tombait en début de mois, ma bourse de 450 euros du CROUS et mes APL en milieu de mois. C’est la seule fois où j’ai écrit un courrier au CROUS pour demander une avance ou à changer mes occurrences pour qu’elles soient en adéquation avec le paiement de mes loyers.
C’était une angoisse mensuelle, une gymnastique psychique épuisante… qui a été atténuée cette fois-là par une aide ponctuelle de 200 euros de l’organisme. Aujourd’hui, à bac + 5, on me classerait – en terme de capital intellectuel – dans la case des CSP+. Pourtant, en tant que journaliste pigiste #LaPrécaritéTue toujours, lancinante, aidée par une profession hypocrite qui exploite nos situations instables.
Virée de chez son oncle, Nini n’avait que les 450 euros de bourse du CROUS pour vivre. La précarité étudiante l’a privée de l’indépendance qu’elle pensait acquérir avec la majorité : « 18 ans : liberté pour les uns, précarité pour les autres ».
Néanmoins, l’État nous demande de faire. Faire mieux, encore, plus vite, plus fort. D’être dignes, malgré toutes les oppressions économiques et systémiques qui nous rongent. Faire pour obtenir, tel le Saint-Graal, le minimum de confort matériel pour vivre. Pourtant la précarité s’amplifie, s’insinue et nous fait survivre.
#LaPrécaritéTue et je suis une survivante comme des milliers d’étudiant·e·s qui se battent, l’angoisse aux tripes mois après mois, année après année… Mais broyé·e·s par un système social qui se nourrit de ses failles.
Et ivres de justice, on dénonce partout cette précarité étudiante, tout le temps, avec nos moyens et l’ivresse de celles et ceux qui n’ont plus rien à perdre mais tout à construire.
Douce Dibondo, 26 ans, journaliste indépendante, Paris
Crédit photo Hans Lucas // © Lilian Cazabet