Quand j’étais petit, je voulais être blanc
Avec ma sœur jumelle, on se posait des questions du genre : « Ah, toi aussi tu préfèrerais être blanc ? » Avant, nous répondions que oui.
J’habite dans une petite ville en Île-de-France depuis huit ans. Quand j’étais petit, je voulais être blanc, car ça me paraissait plus normal, plus « beau ». Il n’y avait pas beaucoup de Noirs et les gens populaires (dits « beaux ») étaient blancs. J’étais une véritable minorité : j’ai toujours été un des seuls Noirs de ma classe. Aujourd’hui, nous sommes trois, l’année dernière nous étions deux. Même dans l’école, on n’était pas beaucoup. Il y a toujours eu une majorité de Blancs, et assez bourges.
Les réflexions de gamins – « Ah tu as la peau caca » – n’aidaient pas. Et il y avait énormément de questions du genre « pourquoi tu es noir ? », notamment par des plus petits, auxquelles je ne pouvais pas répondre. À l’époque, je les prenais plus personnellement, alors que maintenant ça me passe à travers. Ce sont juste des enfants, ils n’ont pas de filtre.
Cette fois-ci, c’est moi qui l’ai plaqué
En CE1, dans la cour de récré, ma sœur jumelle était encerclée par un autre élève, une brute de la même classe, mais plus âgé. On l’a traitée de « sale black ». Je me suis énervé et je me suis lancé pour la sauver. J’ai été plaqué contre le grillage. C’est une chose que je n’avais jamais vue, ni vécue. À ce moment-là, je n’étais pas encore à l’aise avec ma couleur de peau.
Au collège, cette année, à la sortie du cours de français, on m’a dit : « Du calme, bamboula », après m’être disputé avec un autre élève. Je me suis aussi énervé. Mais, cette fois-ci, c’est moi qui l’ai plaqué contre le mur du couloir. Le prof était passif et n’a rien fait. Aucun élève n’est venu m’aider, car on s’est fait stopper par la CPE et emmener dans son bureau. Elle m’a dit que j’avais mal agi, même si elle comprenait ma réaction. Je n’ai pas voulu partir dans une quête pour le punir car je craignais les retombées sur moi. Mais j’aurais aimé avoir une solution pacifique.
Du racisme ordinaire
Une de mes amis proches m’a dit que c’était l’autre la victime. Ça m’a blessé, je trouve ma réaction justifiée. Ma grande sœur de 17 ans, elle, pense que c’est du racisme ordinaire et qu’il ne devrait pas s’en sortir comme ça. Elle aurait aimé que j’aille plus loin et que j’essaie de le punir.
Mais je n’ai pas l’impression que ce soient les attaques racistes qui m’aient le plus complexé. C’est plus le fait que je sois un des seuls Noirs. Le manque de représentation des personnes noires ne m’a pas non plus aidé à me sentir mieux. Il n’y avait pas de personnages principaux noirs dans les dessins animés de l’époque. La Famille pirate, Les Winx… Les personnages principaux sont blancs. Je ne m’en rendais pas compte.
On supporte les luttes contre le racisme
Aujourd’hui, je suis à l’aise avec ma couleur de peau. Je me suis accepté progressivement, ça ne s’est pas fait tout de suite. Ce qui m’a aidé, c’est l’âge mais aussi la culture noire. Je l’apprends de plus en plus, à travers des figures importantes (comme Mandela) et dans les films qui mettent en avant notre couleur de peau. Genre BlakKklansman, The Greatest Showman, et Les figures de l’ombre, sur les femmes qui travaillaient à la NASA. Je les ai découverts sur Canal+ avec ma famille. On se fait des soirées films depuis toujours.
Il y a d’ailleurs un dessin animé que j’aurais aimé découvrir plus tôt, c’est Les Boondocks, parce que c’est assez engagé. Ça parle de deux frères avec leur grand-père qui viennent de la banlieue de Chicago et qui arrivent dans une ville sans diversité. Les enfants essaient de se faire à ce changement. C’est plutôt humoristique, avec le petit surdoué qui connaît la culture noire sur le bout des doigts et la défend.
Les femmes noires ont toujours été rares dans les films et les jeux appréciés par Jhana. Une fois adulte, elle a enfin pu trouver des figures auxquelles s’identifier.
Désormais, avec ma sœur jumelle, on supporte les luttes contre le racisme. Black Lives Matters [le dernier mouvement d’ampleur contre le racisme aux États-Unis, ndlr] par exemple, on en parle souvent ensemble. Ma sœur m’en avait parlé et j’étais triste pour l’homme assassiné [George Floyd, un homme noir tué par la police le 25 mai 2020, ndlr], mais assez heureux de voir tout le monde rassemblé pour cette bonne cause.
Aujourd’hui, je suis à l’aise avec ma couleur de peau. Je pense que la beauté est subjective et que la couleur de peau ne devrait pas être un complexe.
Noah, 13 ans, collégien, Yvelines
Crédit photo Pexels // CC Darina Belonogova
Noirs en France
Qu’y a-t-il de commun entre les Noir·es français·es ? Pas grand-chose, à part leur couleur de peau et le racisme dont elles et ils sont victimes.
Manque de représentations, insultes dès l’enfance, prise de conscience, rêves… Le très beau documentaire Noirs en France donne la parole aux premier·es concerné·es, qu’elles et ils soient anonymes ou célèbres.
Bonne nouvelle : ce film est disponible sur Molotov.tv