Francis P. 15/02/2023

3/4 Un matin, ils t’emmènent à l’aéroport

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Dans deux semaines, Francis sera escorté jusqu’à un avion, direction le Nigéria. En attendant son départ, la tension monte.

Je suis enfermé dans ce centre depuis deux mois. Ils vont me renvoyer dans mon pays d’origine, ils ont déjà acheté mon billet. Je pars dans deux semaines. Ça me rend vraiment très triste. J’ai été arrêté à l’aéroport pour avoir transporté de la drogue. Ils m’ont emmené au tribunal et le juge m’a condamné à deux ans. J’ai fait quinze mois et quinze jours de prison. Après avoir purgé ma peine, la police aux frontières est venue me chercher pour m’emmener au centre de rétention administrative.

La vie ici est très difficile. Pas de bonne nourriture, pas de bons soins. J’ai une sérieuse rage de dent. Un docteur m’a prescrit du Doliprane et du kétoprofène, mais ça n’a rien changé, je sens toujours la douleur. La plupart du temps, je peux seulement manger au déjeuner et c’est tout, je suis incapable de manger ce qu’on nous donne au dîner. En plus, c’est le genre de nourriture qu’ils ne mangeraient pas eux-mêmes. Ils nous servent juste ce qu’ils veulent nous servir, pas ce que nous on aime. On ne peut pas se plaindre, on doit juste manger.

On boit de l’eau sale

Et vous devriez voir l’endroit où on se sert de l’eau pour boire… Vous savez, quand les musulmans vont à la prière, ils se lavent les mains, les pieds et la tête. C’est à ce lavabo-là qu’on boit, donc vous pouvez imaginer à quel point c’est sale. C’est le seul endroit où on peut boire, et on ne peut même pas acheter de l’eau.

Les toilettes et les douches ne peuvent pas se fermer, ce qui nous prive de toute intimité. Il n’y a pas de lumière dans les douches, et les murs sont très sales. Ils sont recouverts de champignons qui ne sont pas nettoyés. À chaque fois qu’on le signale au personnel, ils continuent de dire qu’ils vont nettoyer avec un produit spécial. À ce jour, rien n’a été fait.

Ma cellule de prison était plus grande et mieux équipée que ma chambre ici. J’avais tout dans ma cellule. Ici, il n’y a rien de spécial, juste un lit. Il n’y a pas de loquets aux portes, donc tu ne peux jamais être sûr que quelqu’un ne te vole pas quelque chose pendant que tu es à la douche. Je partage ma chambre avec un autre homme. Il fume, moi non. Je leur ai dit de ne pas me mettre avec quelqu’un qui fume, ils n’en ont rien à faire.

Le suicide, ce n’est plus une surprise

Normalement, ils disent qu’on est supposés rester ici pendant trois mois maximum. Pourtant, certains d’entre nous sont ici depuis presque six mois maintenant, et ils ne veulent libérer personne. Le mois dernier, en août, quelques personnes ont décidé de mettre le feu à leur chambre pour voir si les choses allaient changer. Certains ont même dû grimper sur le toit. Mais la police est arrivée et a tiré des gaz lacrymogènes. Et comme si ce n’était pas suffisant, ils nous ont frappé avec leurs matraques. Plusieurs hommes ont été blessés ce jour-là, d’autres ont été emmenés en cellule d’isolement [l’équivalent du mitard en prison, une cellule à part en guise de punition, ndlr].

SÉRIE 4/4 – Imane et ses coretenues voient chaque jour leurs droits bafoués. En réponse, elles tentent d’organiser la solidarité.

Dans une chambre qui comprends deux lits superposés, une jeune fille est assise sur un des lits, en bas, en nous tournant le dos. Elle touche le mur. Derrière elle, deux feuilles blanches sur lesquelles sont représentées des affaires renversées : un livre et une bouteille renversée sur la première, un lisseur cassé en deux sur la deuxième. Tout à droite, au premier plan, une jeune femme de profil regarde la chambre avec un air exaspéré.

Ce jour-là, nous n’avons eu aucun moyen de voir un médecin. Donc ne soyez pas surpris quand vous entendez que quelqu’un se suicide en rétention. Parce qu’on en est là. Les policiers, certains sont sympas et d’autres n’en ont vraiment rien à faire de nous. Ils nous traitent comme si on n’était personne. Tu peux vivre ici six mois et, un matin, ils te réveillent et t’emmènent directement à l’aéroport, tout droit vers ton pays d’origine. C’est ce qu’ils font ici, et c’est très mal.

Francis, 28 ans, Nigérian enfermé au CRA du Mesnil-Amelot

Illustration © Léa Ciesco (@oscael_)

 

Expulsions à la chaîne

Débattue au parlement cet hiver, la nouvelle loi immigration prévoit de recourir plus souvent aux CRA, en expulsant plus. Les obligations de quitter le territoire (OQTF) seront distribuées encore plus massivement, sans possibilité de recours pour les personnes concernées, et les demandes d’asile seront traitées plus vites. Une situation « plus qu’inquiétante », pour Amnesty International.

Étranger·es, donc soit criminel·les…

Pour défendre sa loi, le ministre de l’intérieur ne fait pas dans la finesse. « On veut ceux qui bossent, pas ceux qui rapinent », affirme Gérald Darmanin, en usant du raccourci entre immigration et délinquance. Il s’inscrit dans la continuité des ministres de l’Intérieur depuis plus de 30 ans. Rien n’a changé depuis 1997, quand 17 rappeurs et rappeuses chantaient contre les lois racistes : « Mes droits me quittent, vite fait / J’ai compris que l’éthique et l’équité / N’étaient pas les mêmes selon ta provenance et ta te-té. »

… soit ouvrier·es

Pour mieux justifier d’expulser massivement, le gouvernement prévoit aussi d’ouvrir des droits aux travailleurs et travailleuses sans-papiers. Dans les faits, les conditions d’attribution de ces titres de séjour seront strictes et ils ne seront délivrés que de manière temporaire. Dans une tribune, un collectif d’associations et de syndicats dénonce une vision des étranger·es qui les considère « comme une population de seconde zone, privée de droits, précarisée et livrée à l’arbitraire du patronat, de l’administration et du pouvoir ».

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