Retraites : face à Macron, j’ai tenté une action
Personne n’était au courant de ce que j’allais faire ce jour-là, au lycée français de Barcelone. À part certains militants LFI et du réseau Agissons ensemble, précurseur de la Nupes en Espagne. Je suis moi-même militant au sein de ces deux mouvements. Vêtu d’un costume et du fameux col roulé du gouvernement, j’avais l’allure d’un parfait macroniste. En dessous, je portais le t-shirt de la discorde, floqué du slogan : « Non à votre réforme des retraites. »
Ce jour-là, j’étais invité par la présidence de la République à une réception en l’honneur des Français de Barcelone. L’événement visait à nous remercier d’avoir contribué à la bonne tenue des élections présidentielles et législatives de 2022. J’avais moi-même été assesseur du bureau de vote de Gérone, en Catalogne.
La communauté française de Barcelone est composée d’opinions diverses et variées. Il y a beaucoup d’expatriés qui gagnent beaucoup d’argent, mais la crise a accru les inégalités et les Français de l’étranger les plus modestes commencent à sentir les effets de l’inflation galopante. Dans les lycées français, en particulier dans les Îles Baléares, les incidents de paiement se multiplient et l’État ne fait rien pour assouplir les conditions d’obtention des bourses scolaires. C’est peut être ce qui explique le succès de notre manifestation devant le consulat de France à Madrid et Barcelone le 31 janvier dernier, en soutien à la grève générale en France.
Téléphone et portefeuille confisqués
Emmanuel Macron est enfin arrivé. J’ai fièrement laissé apparaître mon t-shirt. Le service de sécurité présidentiel, composé de policiers français, m’a rapidement détecté. Ils sont venus vers moi et m’ont demandé de les suivre. J’ai protesté, je ne perturbais en rien le discours du président et je ne voyais pas ce que je faisais de mal. Ils ont insisté en affirmant qu’ils devaient me poser des questions et qu’ils voulaient comprendre ce que je faisais ici.
Je me suis donc fait arrêter arbitrairement. Ils m’ont escorté et ont commencé à me poser un tas de questions. Je leur disais que j’étais pacifique, que je voulais juste montrer à Macron qu’ici non plus, les Français n’étaient pas d’accord avec cette réforme et que j’étais libre d’exprimer une opinion politique. Fort heureusement, je n’ai subi aucune violence de leur part. Mais ils m’ont fouillé et ont confisqué mon téléphone, mon portefeuille et les différentes cartes de crédit, d’identité, etc. qui s’y trouvaient. Ils ont consulté mon téléphone et je ne sais pas exactement ce qu’ils ont vu ou pas. Tout ce que je sais, c’est qu’au moment où j’en ai repris possession, toutes les photos de mon action étaient supprimées. Ils n’ont évoqué aucune raison à cela et ne m’en ont pas parlé…
Les policiers français m’ont simplement dit que ce n’était ni le lieu ni le moment pour arborer un t-shirt contenant un message hostile à la réforme des retraites. Les policiers espagnols étaient surpris… C’est dire à quel point ce qui a été fait est une entrave à ma liberté d’expression et d’opinion.
Se battre pour nos retraites et nos libertés
La justice sociale, la défense des opprimés et des plus démunis se trouvent à la base de mon engagement politique et militant. Aujourd’hui, certaines études affirment qu’à l’âge de 62 ans, un quart des plus pauvres ne sont déjà plus là. Sous l’effet de cette réforme des retraites, ces Français auront donc cotisé toute une vie dans l’espoir de toucher une retraite qu’ils n’atteindront pas. C’en est tout bonnement choquant ! J’ai personnellement vu le travail et la misère détruire la santé de certains de mes proches. Je me bats également pour eux, ainsi que pour tous ceux qui sont mal lotis par les hasards de la vie.
Ce n’est pas normal que ce soit toujours les plus pauvres qui se retrouvent à payer les pots cassés. Le déficit prévu par le conseil d’orientation des retraites est de 12 milliards d’euros. Le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur l’évasion fiscale chiffre entre 30 et 36 milliards d’euros le coût minimum pour l’État français de l’évasion fiscale. Selon plusieurs experts, ce chiffre pourrait en réalité atteindre les 50 milliards. Alors pourquoi ne pas mettre en place de réels mécanismes pour lutter contre ce phénomène ? Ne serait-il pas plus intelligent de retrouver ces fraudeurs plutôt que de faire les poches des retraités ? Il y a aussi les superprofits et tous les gens qui se sont gavés durant toutes ces crises successives. Le gouvernement qui vante « une réforme juste » ne devrait-il pas plutôt récupérer de l’argent là-bas s’il recherche réellement la justice sociale ?
Des coupes budgétaires chaque année
En tant que Français de l’étranger, nous sommes victimes de coupures budgétaires chaque année, de plus en plus importantes. Il est super compliqué d’obtenir des rendez-vous pour le renouvellement d’une carte d’identité ou d’un passeport, je ne vous parle même pas des critères d’obtention de bourses et de l’accès à un enseignement français de qualité. Nous perdons un nombre incalculable de lycées français et c’est avec eux le prestige de toute une nation qui est en train de s’effriter.
Malgré un long CV, la mère de Laura ne touchera que 350 euros de retraite, plus une pension de réversion de 667 euros.
La salle polyvalente où Macron a donné son allocution fait l’objet d’une demande de rénovation de la part des professeurs d’EPS depuis plus de dix ans. Jusqu’à présent, ils n’avaient reçu pour réponse que des silences administratifs. Pour l’arrivée de Macron, la salle a été réquisitionnée pendant cinq jours afin de la sécuriser, la décorer et lui refaire une beauté, impossible à utiliser par les élèves et leurs professeurs… Ça prouve bien que quand l’État veut faire, il peut faire.
Youssef, 25 ans, étudiant et salarié, Gérone (Catalogne)
Crédit photo © Youssef Hanayen (montage ZEP)
Le t-shirt est un outil politique
Pour médiatiser une cause et interpeller les politiques comme les citoyen·nes, rien de tel qu’un t-shirt ! Le t-shirt, il est plus facile à cacher qu’une pancarte lors des contrôles de sécurité, et il permet de prendre la parole quand on ne nous la donne pas.
En 2013, François Ruffin (désormais député LFI) se pointe à une assemblée générale du groupe LVMH avec son t-shirt « I love Bernard ». Son objectif : interpeller les actionnaires présent·es ce jour-là sur les conditions de travail et de licenciement des ouvrier·es du groupe, propriété de Bernard Arnault, l’homme le plus riche du monde. François Ruffin réitère l’expérience lors des Césars 2017 avec un t-shirt « I love Vincent » sur Canal+, chaîne appartenant au milliardaire Vincent Bolloré.
Dernière rénovation, un mouvement citoyen qui alerte sur l’urgence climatique, utilise souvent l’astuce du t-shirt et s’invite aux événements médiatisés. Ici, une militante a fait irruption sur le court de Roland Garros, en 2022.
Il y a aussi les sans t-shirt ! Depuis 2008, les Femen inscrivent leurs messages féministes directement sur leurs seins. Leur idée : le corps des femmes est tout le temps scruté, autant l’utiliser pour faire passer des messages politiques.