Aïcha S. 15/11/2021

La réussite en banlieue, j’y crois plus que mes profs

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Venant d’un quartier mal réputé, Marame et ses camarades de classe subissent le mépris de leurs profs. Ambitieuse, elle veut leur donner tort.

« De toute façon, tu resteras toute ta vie au Val Fourré », a dit un prof à un élève en plein milieu du cours. Comme s’il lui disait que, quoi qu’il fournisse comme travail, il n’y parviendra pas…. alors autant baisser les bras. Cette phrase de mon prof m’a fait prendre conscience que les gens, même nos profs, ont une image faussée de nous, les banlieusards.

Le quartier du Val Fourré, à Mantes-la-Jolie, est un endroit où il y a des violences récurrentes. C’est ce qu’on entend dans la plupart des médias, où on a une image négative des jeunes. Les profs te posent une étiquette de « sauvage qui n’a pas d’avenir ». On nous met dans une case qu’on n’a pas le droit de franchir. Comme si nous étions destinés à vivre comme des « moins que rien ».

C’est pas nous les fermés d’esprit mais nos profs

Ils pensent que nous sommes dépourvus de toute sorte d’éducation, que nos parents nous négligent forcément, qu’ils ne nous éduquent pas ou qu’ils ne le font pas de la bonne manière. Un jour, un autre de mes profs a dit : « Une fois sortie de l’établissement, tu peux faire ce que tu veux. Mais ici t’es pas à la rue, t’es au collège. » Sous prétexte que si tu vis en banlieue, tes parents ne te posent pas de cadre. Tu te fais ta propre loi et tu peux te permettre de faire ce que tu souhaites, vu qu’aucune valeur ne t’a été inculquée. C’est comme ça qu’on a pris ses propos.

On nous considère comme des personnes ayant un esprit fermé, que nous sommes des banlieusards et que nous resterons à tout jamais des habitants de banlieue. Et ce sont nous les fermés d’esprit qui ne connaissent que la violence ? Des misérables d’intelligence, de motivation, et de culture générale ? À plusieurs reprises, un de nos profs a posé une question de culture générale à l’ensemble de la classe qui n’avait pas forcément un lien avec le cours. Sans nous laisser le temps d’y répondre, il a ajouté que de toute façon nous n’avions pas la réponse et a commencé à rire. On ne nous laisse pas d’opportunité. Mes profs ont déjà leur propre opinion sur nous.

« Cette feuille, elle sera aussitôt perdue, déchirée »

Ils sont persuadés que les études ne nous intéressent pas, qu’on néglige nos affaires. « Quoi qu’il arrive, je sais que dès que je vous distribuerai cette feuille, elle sera aussitôt perdue, déchirée », a déclaré un prof en distribuant les feuilles du cours. Cette réflexion a été faite à plusieurs reprises, articulée comme si nous n’avions de considération pour rien ni personne. Comme si nous n’étions dignes d’aucun effort de sa part.

Noâm vient de banlieue, et il s’est retrouvé confronté aux clichés qui entourent ses origines sociales. Il raconte le choc des classes qu’il a ressenti quand il est allé dans une prépa parisienne.

Ma grande sœur est passée par le même établissement que moi. Arrivée à la dernière année, celle de l’orientation, on n’a fait que lui répéter qu’elle n’allait pas y arriver et qu’elle ferait mieux d’abandonner car elle était vouée à l’échec. Au lieu d’encourager les élèves, les profs nous découragent. Comment peut-on avancer dans ce genre de situation ?

Viser plus haut et plus loin

Il n’y a pas si longtemps, un nouvel éducateur, là pour aider les élèves en cas de besoin, a intégré l’établissement. Il a postulé sans avoir de préjugés et ne montrait pas forcément de signe d’autorité, ce que la principale a remarqué. Elle lui en a fait part dans une conversation car, la semaine qui a suivi, sa façon d’agir a clairement changé avec nous. Il est venu apporter de l’aide à ma classe et il s’adressait à nous en claquant des doigts comme si nous étions des chiens. Aussi, il criait pour tout et pour rien et nous adressait la parole avec une sorte d’infériorité entre lui et nous. Il est passé du tout au tout, d’une personne « normale » à quelqu’un de limite méprisable.

Je trouve ces réflexions pesantes au quotidien. Elles nous emportent toute motivation et je souhaite sincèrement que cela s’arrête. Mais ce ne sera pas tâche facile. Je suis actuellement inscrite à un parcours d’excellence qui a pour but de nous encourager et nous former, afin de postuler à plusieurs internats et lycées reconnus. J’espère qu’en visant plus haut et plus loin, je leur montrerai qu’ils se trompent sur toute la ligne. Un banlieusard est tout à fait capable d’intégrer l’école qu’il souhaite et de parvenir à faire le métier qu’il veut.

Aïcha, 14 ans, collégienne, Mantes-la-Jolie

Crédit photo Unsplash // Yustinus Tjiuwanda

 

L’inégalité des enseignements

Les profs sont moins expérimentés en banlieue

En Ile-de-France, les profs sont beaucoup plus expérimenté·e·s dans les communes dites privilégiées (avec 9% de profs de moins de 30 ans) que dans les territoires dits en difficulté (30%). Plus la banlieue est stigmatisée, moins les profs veulent y travailler, moins les enseignant·e·s qu’on envoie sont expérimenté·e·s.

 

Les équipes éducatives y sont moins stables

En banlieue, les profs restent moins longtemps dans les établissements, et leurs contrats sont plus précaires. La stabilité des équipes est donc moindre, alors même qu’il s’agit d’un élément fondamental dans la réussite scolaire des élèves.

 

Ces inégalités impactent les résultats scolaires

Bien que la qualité de l’enseignement ne soit pas le seul facteur de réussite, son impact sur les résultats des élèves est considérable. En quartiers prioritaires, le taux de réussite aux épreuves du brevet est deux fois moins élevé que dans les territoires privilégiés.

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