Hannah Y. 14/10/2022

Sans mon père, j’ai du mal à grandir

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Ballottée par un père jamais vraiment là, Hannah est en colère, et elle en souffre. Mais elle n’arrive pas à couper les ponts.

Toute ma vie, j’ai vécu avec un père à moitié présent, et surtout à moitié absent. Au début, il était là une semaine sur deux. Il sortait très souvent. Mais on ne savait ni ce qu’il ne faisait, ni où il allait. Après, c’est devenu des mois d’absence. Je n’avais plus aucune nouvelle de lui, il était comme disparu de la population. Puis, soudain, il revenait du jour au lendemain, comme si de rien n’était, comme si rien ne s’était passé. Même quand il est là, on dirait qu’il ne l’est pas : il fait seulement acte de présence.

Mes frères en souffrent

Ma mère essaie de ne pas le calculer et de faire comme s’il n’existait pas. Elle ne lui adresse plus un mot depuis maintenant deux ans. J’ai deux frères et ils vivent encore plus mal que moi le manque d’une présence paternelle. Ils m’en parlent très souvent. Ils essaient de sortir, de passer à autre chose, mais c’est difficile.

Aujourd’hui, je suis censée – car je suis mineure et que le juge lui a donné un droit de visite – aller chez mon père un week-end sur deux, mais j’y vais en général une fois par mois, voire même une fois tous les trois mois car je m’embrouille souvent avec lui.

J’ai l’impression qu’il me manque, et qu’il me manquera toujours quelque chose. Je ressens comme un vide. J’ai grandi en sachant que mon père ne serait jamais vraiment là pour moi, qu’il y aurait toujours quelque chose qui passerait avant. J’ai toujours senti que j’étais mise de côté, que je passerai après tout ce que mon père avait à faire. Il est blessant dans ses propos même si, des fois, il ne le fait pas exprès. Il me dit des paroles qui me marquent et que je n’arrive pas à me sortir de la tête.

Les nerfs contre mon père

Son absence a eu un effet très négatif sur moi. J’ai du mal à avoir confiance en moi et, encore plus, à faire confiance aux gens, par peur d’être trahie ou d’être abandonnée par quelqu’un que j’aime. Le peu de personnes avec lesquelles je me sens bien, je ne me livre pas, je ne me confie pas, je garde tout pour moi. Je fais comme si de rien n’était, ça me blesse mais c’est mieux comme ça.

J’ai énormément de haine en moi et, malgré cela, je n’arrive pas à couper les ponts avec lui. J’essaie, mais c’est plus facile à dire qu’à faire, car je ne suis pas seule dans cette histoire. Mes frères l’idéalisent carrément. Du coup, je vais le voir avec eux pour leur faire plaisir. Mais rien que de voir la tête à mon père, j’ai les nerfs qui me montent, et c’est quelque chose que je n’arrive pas à contrôler.

Dans notre série Papa, où t’es ?, Benjamin, Yasmine, Shierley, Lola et Lucas racontent la vie sans leurs pères : la colère, le sentiment d’abandon, la précarité et les responsabilités trop vite arrivés.

Capture d'écran d'une illustration d'un autre artcile de la ZEP. Image de la série "Papa où t'es ?" On voit une mère et sa fille s'enlacer. Une autre personne tenir une pièce avec le visage de son père flou. Des mains. Un père et son fils allongé au sol. Et deux autres personnes qui sont s'enlace à droite.

Je n’arrive plus à l’entendre, ni à le voir, je n’arrive pas à comprendre ce qui nourrit ma haine. Cela m’énerve encore plus de voir qu’il vit sa vie comme si de rien n’était. Il me reproche même de ne pas le calculer. Je vois mon avenir sans mon père, car il ne changera jamais.

Hannah, 17 ans, lycéenne, Marseille

Crédit photo Unsplash // CC Kelly Sikkema

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