Francine B. 26/10/2021

Je signe pour mes parents sourds-muets

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Des rendez-vous à la banque aux réunions parents-profs, Francine fait l'interprète en langue des signes pour ses parents sourds et muets.

Je suis née dans une famille pas comme les autres, car mes parents sont sourds et muets. Avec mon grand frère, on a très vite appris à les aider. Pour prendre des rendez-vous, pour traduire… Par exemple, ce matin, j’ai dû prendre un rendez-vous à la banque pour mon père.

Je dois toujours prévenir que mes parents sont sourds et que je suis là pour traduire. Partout où il n’y a personne qui parle la langue des signes, je dois être là. Le seul endroit où je n’ai pas besoin de les accompagner, c’est l’hôpital, car il y a souvent un interprète.

J’ai dû grandir plus vite que les autres, apprendre à faire plus attention, notamment aux problèmes d’adultes. J’ai dû m’occuper de la CAF, des impôts, remplir la déclaration… C’est positif pour moi, j’apprends en avance tout ce qui concerne l’argent, l’administratif, pour mon futur. Parfois, c’est un peu compliqué, alors je demande à mon frère qui est plus grand, c’est plus facile pour lui.

Deux langues des signes, le français et le russe

Je dois aussi aider mon père quand il ramène des documents du travail. Comme il ne sait pas bien écrire le français, je m’occupe de ça pour lui. Avec ma mère, ils sont d’origine russe. J’ai donc la chance de parler deux langues des signes différentes : le français, ma langue natale, et le russe. Mes parents me l’ont appris jeune car j’ai de la famille en Russie – pour la plupart des non-entendants, pour que je puisse communiquer avec eux.

Interdite à la fin du 19e siècle, la langue des signes française n’a été réhabilitée qu’en 1977. France 24 lui a consacré un long reportage, à l’occasion de la Journée internationale des langues des signes, le 23 septembre 2021.

Mes parents sont très indépendants, ils savent se débrouiller seuls et ça ne me dérange pas de les aider. Mais c’est vrai que je suis une personne assez timide, et c’est compliqué pour moi d’être l’adulte au téléphone, le référent.

Je me rappelle quand j’étais plus petite, j’allais avec ma mère chercher les bulletins à l’école primaire et je devais traduire ce que disait la prof à mon sujet. Je n’aimais pas y aller car j’avais l’impression que les professeurs me jugeaient. J’ai toujours du mal, aujourd’hui, à parler en langue des signes devant mes profs avec mes parents à côté. Du coup, maintenant, c’est mon frère qui traduit à ma place.

Chez moi, c’est très vivant

Ce n’est pas parce que mes parents sont sourds qu’on vit dans le vide. Pendant les repas, c’est vrai que c’est calme et qu’il n’y a pas de son qui sort de la bouche de mes parents, mais ça ne nous empêche pas de discuter ! Le week-end, on part courir, on va au cinéma, mes parents comprennent très bien le contexte du film sans avoir le son ou les sous-titres. On part aussi en vacances. Je dois traduire à l’aéroport, ou au restaurant pour le serveur. Mais, pour moi, c’est naturel, j’ai grandi comme ça.

Chez moi, c’est très vivant de voir les expressions, la façon de signer. Quand on signe, tout se voit sur le visage. Quand je suis triste, je le montre dans mes expressions faciales. C’est pareil quand on est joyeux, c’est très important de signer avec enthousiasme.

Avec le masque d’ailleurs, c’est chiant, on montre moins notre expression. Parfois, ma mère ne voit pas quand je suis énervée ou saoulée. Elle ne peut pas remarquer parce que j’ai le masque. Je ne peux pas voir non plus s’ils sont énervés… Du coup, je leur demande.

Pour Marie-Isabelle, avoir été élevée par des parents sourds et muets est une vraie richesse. Elle a appris à connaître deux mondes différents, deux façons de penser : « La langue des signes est ma langue maternelle. »

C’est ma « normalité » à moi. Le fait d’avoir des parents sourds ne fait pratiquement pas de différence. Peut-être le silence, le fait que chez moi ce soit calme, contrairement à chez d’autres. Par contre, je peux mettre de la musique à fond sans déranger mes parents ou qu’ils m’engueulent, et ça, c’est cool !

 

Francine, 15 ans, lycéenne, Paris

Crédit photo Pexels // CC SHVETS Productions

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