Pour ma mère, je suis une sorcière
Quand on est fille de pasteurs évangéliques comme moi, le quotidien est basé sur la religion. Dès que j’ai su parler, j’ai dû prier plusieurs fois par jour. Plus je grandissais, plus les prières étaient longues, et pour n’importe quel prétexte. Les fois où je ne le faisais pas, je pouvais être punie, privée de dessert.
Pour montrer l’exemple, à l’église, je devais animer les louanges, et jouer de la guitare, du piano, de la batterie. Comme si ce n’était pas assez, dès l’âge de 7 ans, je devais jeûner pour soutenir la famine et la maladie dans le monde. En soi, ce sont des bonnes causes. Le souci, c’est que j’ai grandi avec le sentiment que mes parents aimaient plus les autres que moi.
Mes hobbies sataniques
Chaque dimanche, je devais me réveiller à 6 heures pour aller à l’église. Il fallait s’habiller de manière décente. Pas le choix : chemise, jupe longue et pantalon étaient de rigueur. Mais, moi, mon style est tout sauf chrétien. À vrai dire, j’ai tendance à me colorer les cheveux, porter des crop tops et des habits plutôt « indécents », au grand dam de mes parents. Ma spécialité, c’était de passer par la fenêtre quand tout le monde dormait, pour rejoindre mes amies en soirée. Plus précisément au Panam Sous Tropic, LA boîte de nuit où la débauche battait son plein. Twerk, alcool et mini-jupe étaient au rendez-vous. Pas besoin de vous faire un dessin de l’état dans lequel j’arrivais à l’église, après avoir veillé jusqu’à 4 heures. Mais attention ! Au culte, interdiction de s’endormir, sous peine d’être réprimandée une fois arrivée à la maison.
Aujourd’hui, la plupart des églises ont leurs propres comptes Facebook ou Instagram. Sur les réseaux, j’expose mes outfits les plus indécents, alors il est primordial pour moi qu’aucun membre de l’église, ou connaissance de mes parents, ne tombe sur mon compte. Je dois utiliser des pseudos et ne jamais mentionner mon vrai nom. L’anonymat est mon meilleur allié. D’autant plus que, pour ma mère, tout chez moi est signe de rébellion. Mes deux meilleur·es ami·es sont issu·es de la communauté LGBTQ. Quand iels venaient à la maison, ma mère les regardait de travers. C’est interdit par la religion, selon elle. Alors si je lui dis que je fais aussi partie de la communauté, j’ai peur d’être reniée à vie.
Tous mes hobbies sont sataniques pour mes parents. J’adore la culture japonaise et les animes. Dans Blue Exorcist, il y a de la magie, des démons et les openings d’animes, c’est toujours du rock. Et je dessine pas mal l’anatomie humaine, que je mêle à des caractéristiques surnaturelles. Alors, selon ma mère je rapportais « des mauvais esprits à la maison » et « je crie mon amour pour Satan ».
Vue comme une sorcière et mise à la rue
Ma mère avait une fâcheuse tendance à être parano. Malheureusement, la paranoïa et la religion ne font pas bon ménage, et je peux en témoigner. Elle voyait des sorciers partout, ça prenait racine dans ses rêves et elle les interprétait comme « messages de Dieu ».
Apparemment, mon grand-père était sorcier. Je n’ai pas vu ma famille pendant cinq ans avec ses bêtises. Je pensais qu’on avait déjà touché le fond, mais elle s’en est ensuite pris à ma grande sœur. C’était du harcèlement permanent. Elle priait devant la porte de sa chambre pour retourner à l’envoyeur [chez les évangélistes, prière destinée à lutter contre la sorcellerie, ndlr] tout le mal qu’elle nous aurait fait. Elle lui souhaitait même la mort. Ma sœur a fini six mois en psychiatrie.
Les parents de Kalenga ont voulu « guérir » l’homosexualité de leur fils : ils lui ont fait subir une thérapie de conversion.
Puis, ça a été mon tour. J’étais d’ailleurs étonnée que ça n’ait pas commencé par moi. Elle justifiait tous mes comportements sataniques par le fait que j’étais, moi aussi, une sorcière. D’après elle, je ne voulais pas sortir de mes lubies car j’aimais ce que le diable m’offrait. Elle est allée jusqu’à m’empêcher de serrer mes petites sœurs dans les bras. Quelle ordure ! Après nous avoir harcelées une année entière, elle a fini par nous mettre dehors, ma grande sœur et moi, avec la totalité de nos affaires. Elle ne voulait rien qui nous appartenait sous son toit.
Je ne lui en ai jamais voulu, parce que je sais que ce n’était pas de sa faute. Elle pensait bien faire pour ses trois autres filles. Sauf que nous, les deux plus grandes, on s’est retrouvées à la rue. Aujourd’hui, je vis chez une amie de la famille, elle est religieuse aussi, mais avec elle, je peux m’habiller et faire ce que je veux. Elle n’y voit aucune objection tant que mon amour pour la religion reste le même. Elle m’a prouvé que je pouvais être croyante sans délaisser mes centres d’intérêt, et je lui en suis reconnaissante.
Taiiyo, 19 ans, en recherche de formation, Montreuil
Crédit photo Pexels // CC cottonbro Studio
La liberté de culte pour les enfants
50 % des Française·s qui ont grandi dans une famille religieuse pratiquent moins que leurs parents.
Le droit à la liberté de culte s’applique à n’importe quel âge. C’est inscrit dans la loi : tu n’es pas obligé·e de croire en la même religion que ta famille, et personne ne peut t’imposer une pratique religieuse qui ne te correspond pas.
Pour être clair, selon la loi, tes parents peuvent te guider vers leur religion, te l’enseigner, mais pas te l’imposer.