Anais E. 29/03/2022

Sur les réseaux, je me sens (in)vulnérable

tags :

Les réseaux sociaux, pour Anaïs, c’est un espace où elle s’exprime et s’assume, mais aussi un lieu où elle subit violences sexistes et sexuelles.

Pour moi, les réseaux sociaux sont importants, si ce n’est vital ! Je passe des heures sur Instagram, je scrolle et scrolle, encore et encore. Je poste aussi des photos de moi en robe de couleur noire qui font beaucoup de vues. Je porte tous les jours des robes, c’est tellement beau.

Dans les commentaires, on me dit que j’ai un beau corps et ça me fait très plaisir de me sentir aimée par des gens. Avant que je n’utilise les réseaux, je ne m’acceptais pas car je me sentais « grosse », mes amis me disaient que j’étais différente d’elles.

Je me répétais que jamais je ne pourrais plaire, que je n’aurais jamais d’amoureux. Mes soi-disant amies me rabaissaient, elles me disaient aussi que, pour plaire aux gens, il fallait être mince. Elles me disaient que jamais je n’aurais de copains, que je n’aurais même pas dix abonnés. Donc je me suis lancé un défi : avoir plus de dix abonnés.

Les réseaux sociaux aident à avoir confiance en soi…

J’ai créé mon compte, j’ai posté une photo de moi, de ma tête plus précisément. Mes abonnés m’ont complimentée, ont liké et commenté. J’étais contente. Mes « copines » avaient la haine car j’avais réussi à leur prouver le contraire. Pour moi, des likes et des commentaires, c’est tellement bien car ça montre que les gens te trouvent beau ou belle, et ça te met de bonne humeur de voir des gens qui t’aiment telle que tu es.

J’aime bien parler avec des gens, ça me fait me sentir bien. J’ai appris à avoir confiance en moi grâce aux commentaires qu’on laissait sur mes publications du genre : « T’es magnifique » ; « T’es belle » ; « Ton corps est incroyable. » Ils viennent surtout d’hommes. Ça ne me gêne pas, au contraire. Alors qu’avant j’étais complexée par mon corps, les réseaux sociaux m’ont permis de comprendre que je pouvais plaire, moi aussi.

Depuis, je ne les quitte plus. J’y suis tout le temps. C’est plus qu’une passion : c’est ma vie. Ça m’a permis d’avoir confiance en moi, et je kifferais aider maintenant les gens à avoir confiance en eux. Par exemple, je ferais des lives et je répondrais aux questions. Je dirais aux gens que, pour commencer à avoir confiance en soi, il faut mettre des habits qui nous plaisent et qui nous font nous sentir bien, se regarder dans le miroir et se dire qu’on est belle. Se parler à soi-même, ne pas avoir peur, car les gens qui critiquent sont souvent ceux qui sont mal dans leur peau. Ils essaient de rabaisser une personne pour se sentir plus fort.

… mais tu peux t’y faire manipuler

Il y a d’autres conséquences quand on passe du temps sur les réseaux, et je m’en serais bien passée. Un jour, un mec m’a demandé des photos de moi dénudée. J’ai immédiatement refusé. Il m’a menacée de me bloquer si je ne le faisais pas. Je ne voulais pas le perdre, alors je lui ai dit « OK ». Je lui ai envoyé des photos intimes sur Snapchat. Alors que les photos étaient censées être éphémères, il les a capturées et les a partagées à tout le monde.

J’étais tellement mal. Le lendemain, je ne suis pas allée en cours par peur des critiques. J’en ai parlé à mes parents, je leur ai raconté toute l’histoire. Je me suis mutilée. Quand mon père a vu les traces, il a appelé une psy. En parler à cette personne m’a fait énormément de bien.

Je suis retournée en cours quelques mois plus tard. Tout le monde me soutenait, me consolait. Je n’allais pas bien pour autant, car le mec qui avait balancé mes nudes était dans le même collège que moi. Je le voyais tous les jours. Il s’est excusé, mais je ne voulais plus le voir, il me dégoutait.

Avec le temps, ma peine s’est atténuée, mais j’ai ressenti un manque de plus en plus fort des réseaux sociaux, que j’avais délaissés à cause de cette histoire. J’y suis retournée trois semaines après parce que ça me manquait de parler avec des gens et même de liker les photos de mes abonnés. Mais j’avais peur que mes parents captent que j’avais réinstallé les applis. Ils ne veulent plus que j’y sois par peur que je me refasse avoir. J’ai bloqué des membres de ma famille pour ne pas qu’ils voient.

Je mène un double-je(u) avec ma famille

C’était plus fort que moi, je devais prévenir les gens de mon absence sur les réseaux car je ne voulais pas qu’ils s’inquiètent. Là, j’ai encore Instagram et Snapchat. Avant de rentrer chez moi, je prends bien soin de désinstaller toutes les applis que je réinstalle dès que je sors. Mon père vérifie mon téléphone, je n’aime pas mentir à mes parents, mais c’est plus fort que moi, c’est comme une drogue.

Garance se comparait H24 à des filles aux vies et aux corps « parfaits » sur TikTok. Maintenant, elle voit le côté « fake » des réseaux.

Capture d'écran d'une illustration d'une étudiante avec un sac à dos qui se regarde dans le miroir. Plusieurs bulles en noir avec des corps de femmes l'entourent. Dans le miroir, un like remplace son visage.

Ça vaut le coup de rester sur les réseaux : ça m’a aidée et je veux aider les gens. On dirait que c’est normal d’encaisser les remarques sexistes et de recevoir des photos dénudées d’hommes, alors que non. J’ai connaissance des risques. Mais c’est vraiment plus fort que moi. Je peux me lever en plein milieu de la nuit pour vérifier si je n’ai pas de nouveaux commentaires sous mes publications. Je suis carrément obsédée par les réseaux sociaux. Et je ne suis pas la seule.

Anaïs, 16 ans, lycéenne, Grande-Synthe

Crédit photo Pexels // CC Cottonbro

 

Insta a un impact sur la santé mentale des ados*

32 % des adolescentes détestent leurs corps et estiment qu’Instagram aggrave ce sentiment
Filtres, retouches, positions avantageuses… Insta est un réseau d’images sur lequel tout est fait pour que le « beau » corresponde à la norme. Quand elles se regardent dans le miroir, les ados voient un corps et un visage qui ne ressemblent pas aux images qu’elles consomment.

40 % des ados britanniques et américaines se sentent « moins attirantes » depuis qu’elles fréquentent l’appli
Ces troubles sont beaucoup plus importants chez les filles, puisqu’elles sont bien plus sexualisées et soumises à des normes de beauté que les garçons.

13 % des utilisateurs·trices britanniques ont eu des pensées suicidaires à cause d’Insta
Ces chiffres sont alarmants, et la Grande-Bretagne n’est pas un cas isolé. Aux États-Unis, 6 % des ados ont des pensées suicidaires à cause des images qu’ils et elles voient sur Insta.

 

* chiffres issus d’une étude confidentielle menée par Instagram sur des ados du monde entier

Partager

Commenter