Abdou K. 12/07/2022

Avec les surveillants de prison, ça passe ou ça casse

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Condamné à huit ans de prison, Abdou a côtoyé de près les surveillants : ceux qui allègent le quotidien… et ceux qu’il vaut mieux éviter.

J’ai fait huit ans de prison. Ça veut dire que, pendant huit ans, j’ai côtoyé des surveillants. Les bons et les mauvais. Entre les détenus et les surveillants, directeurs, chefs, c’est la même chose. Sauf qu’on ne peut pas parler de la même manière avec un gradé qu’avec un surveillant.

Des fois, une histoire d’embrouilles peut partir pour rien. Genre tu demandes au surveillant d’aller te chercher quelque chose dans une autre cellule, comme des cigarettes, et s’il dit non, ça peut partir en insultes. C’est là que ta peine de prison peut devenir dure parce que le surveillant a des amis, et ils peuvent se retourner contre toi…

Ils peuvent faire en sorte que t’aies des problèmes, ou monter des histoires avec d’autres détenus. Par exemple, leur dire que c’est untel qui a dit au chef qu’il avait un portable. Untel qui a fait une lettre anonyme pour qu’ils te fouillent… Ça crée des embrouilles, ça met des tensions dans ta peine.

Tout le monde à la trappe

Mais il y a des surveillants avec qui tu peux très bien t’entendre, les chambrer, rigoler avec, tout ça… Il y en a qui te parlent et te racontent des histoires de leur vie personnelle. Ils te tutoient, il y a une bonne relation, parfois même du respect. Tu peux parler de sport par exemple ! Tu discutes avec eux pendant six mois, un an, et ils finissent par te raconter leurs histoires. Il y en a même qui te préviennent que tu vas être fouillé, savent que t’as un téléphone et ne disent rien. Tout le monde sait mais ils laissent faire, si tu ne leur casses pas les couilles !

Des fois, tu vas faire à manger et ils savent que tu cuisines bien. Ils n’ont pas envie de manger la gamelle donc ils vont te demander de faire pour eux. Eux, ils gagnent le SMIC, alors manger la gamelle, ça les fait économiser. Une surveillante m’a déjà demandé de lui faire des pastels !

Au début, comme je savais que j’allais faire une longue peine, c’était un peu difficile pour moi. Je manquais de respect à tout le monde en prison : surveillants, chefs, détenus, tout le monde passait à la trappe. Je me laissais aller, je fumais beaucoup de cannabis, surtout pour dormir. Il me fallait un portable tous les jours pour m’évader un peu du système carcéral. De jour en jour, je perdais l’espoir de sortir de prison. J’ai fait beaucoup de mitard… six mois, en tout.

Au mitard, t’es isolé des autres détenus, t’as une promenade le matin et une l’après-midi d’une heure chacune. Trois douches par semaine, pas de télé, juste un poste radio. Des livres de temps en temps mais t’es isolé, tu regardes le mur. De toute façon, des fois, je ne voulais parler à personne, même pas à ma famille.

Ta journée dépend des surveillants

J’ai connu beaucoup de mauvais surveillants parce que, dans ma peine, j’ai fait beaucoup d’établissements pénitentiaires. J’en ai vu beaucoup qui allaient au-delà de leurs fonctions.

Il y en a qui viennent au travail avec leur humeur de chez eux, leur mauvaise humeur. D’autres savent faire la différence entre leur vie perso et leur vie pro. Ou alors, des surveillants vont jouer les gradés alors que leur travail c’est juste d’ouvrir ou fermer des portes, te déplacer. Le reste du temps, ce sont les gradés qui décident. Eux, on ne les voyait pas beaucoup, sauf au départ et retour de promenade.

En tout cas, les surveillants font que ta journée peut bien commencer, mais très mal se terminer.

Un jour, j’ai eu un parloir un dimanche après-midi, c’était mon petit-frère qui venait me voir. Il m’avait ramené du cannabis. Je l’ai pris et, quand le parloir s’est terminé, c’était le moment de passer à la fouille. Le surveillant qui m’a fouillé avait vu que j’avais quelque chose. Il m’a dit de le lui remettre mais je ne voulais pas, alors il a appelé du renfort. Ils m’ont attrapé à quatre surveillants, ils m’ont mis les menottes, comme c’était considéré comme une intervention. Ils m’ont plaqué au sol, ils ont réussi à récupérer le cannabis.

Du mal à respirer

Avant ça, j’ai voulu avaler le cannabis. Alors un surveillant m’a bloqué la gorge pour bloquer le cannabis. Il a mis sa main dans ma bouche pour le récupérer. Mais moi, j’avais du mal à respirer. Alors, sans faire exprès, je l’ai mordu. Ça l’a énervé et, pendant que j’étais plaqué au sol, il m’a mis un coup de pied en me disant : « Enculé, tu m’as mordu. »

Passer plusieurs années derrière les barreaux, c’est avant tout gérer son temps. Celui de la prison mais aussi celui qui s’écoule à l’extérieur. Une vie hors-champ que nous racontent sept détenus dans notre série Longues peines, séjours sans fin.

Capture d'écran d'un autre article de la ZEP. C'est une illustration ou on voit une personne dans loin coin gauche qui regarde la télé. centre en haut, on voit un homme recroquevillé, face à un téléphone au sol qui fait du bruit. Une personne avec le visage plongé dans ses mains, avec deux visages rouges qui hurle autour. dans le coin Gauche en bas il y un homme qui prends des enfants dans ses bras au milieu en bas il y a un homme face à un écran et à droite on voit une personne assise sur une chaise, qui lis un livre

Ensuite, ils m’ont ramené au mitard, et ils ne voulaient pas me donner ma Ventoline. Le lendemain, le chef m’a dit que j’avais cassé une côte à un surveillant. Je leur ai dit : « Comment j’ai fait ? J’étais menotté ! » Ils n’ont rien voulu savoir, j’ai fait trente jours de mitard, et j’ai pris huit mois ferme pour cette histoire.

Abdou, 39 ans, Nanterre

Crédit photo Hans Lucas // © Arthur Nicholas Orchard – Centre pénitentiaire de Fresnes, France, le 20 septembre 2016.

 

SURPOPULATION = TENSIONS

En France, les prisons sont occupées à 117 % (et encore, ce chiffre est sous-évalué…). Certaines dépassent même les 200 %, c’est-à-dire qu’il y a deux fois plus de détenu·es que de places en prison.

Le nombre d’incarcérations augmente, mais celui des surveillant·es, lui, n’a pas changé. Du coup, il y aussi beaucoup trop de détenu·es par rapport à celles et à ceux qui les surveillent, ce qui participe à l’épuisement général.

D’ailleurs, ça fait des années que les surveillant·es font grève pour protester contre ces conditions.

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