Maissa I. 30/05/2023

Gagner de l’argent en les insultant

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Maissa reçoit souvent des messages lui proposant de l’argent en échange d'insultes ou de photos de ses pieds. Un jour, elle a dit oui. 

« Je te paie 50 euros pour dix photos de tes pieds. » Ou la prostitution des temps modernes. J’ai 20 ans et, comme la majorité des gens de mon âge, je suis allée sur les réseaux sociaux dès l’adolescence. D’abord sur Facebook, où j’ai reçu mon premier message d’un compte qui me proposait de me donner un iPhone (« Mon père travaille chez Apple ») et des bonbons. Vraiment une technique de pédophile, mais sur internet.

En 2019, j’ai créé un compte Twitter pour passer le temps. J’ai commencé à poster des tweets et des photos de moi. Je sais que je suis une belle fille assez attrayante, et mes contenus ont fait beaucoup d’effet. En revanche, on m’a souvent demandé si j’étais une travailleuse du sexe…

Après ces photos, j’ai reçu quelques DM me demandant d’envoyer des photos de mes pieds en échange d’une rémunération. Un homme m’a aussi demandé que l’on se rencontre pour se « soumettre » à moi. Bien évidemment, j’ai refusé toutes ces requêtes. À cette époque-là, ce n’était pas très courant.

Surprise, ça marche !

Un an après, autour de moi, le phénomène s’est répandu. En échange de ces pratiques, des hommes ont proposé de faire nos devoirs, des cadeaux, et évidemment de l’argent. Une de mes amies a vendu cinq paires de chaussettes sales et des vieilles baskets pour 250 euros. Une autre était sur un site où elle publiait des vidéos de ses pieds et a reçu plus de 10 000 euros au total !

Moi, je continuais à recevoir des DM par dizaines. Parfois, je répondais à ces gens juste pour me faire rire car je suis une énorme trolleuse. Quand une situation me dépasse, j’aime partir dans l’humour. Parfois, aussi, j’essayais de les raisonner. La faute à mon grand cœur… Je leur disais qu’ils valaient mieux que de se rabaisser à payer pour assouvir des fantasmes farfelus, qu’ils méritaient qu’on leur accorde tout cela par amour. Certains me remerciaient.

Puis un jour, je discute avec un homme qui veut que je l’insulte en échange d’argent envoyé sur PayPal. J’envoie mon lien, toujours dans un état d’esprit humoristique, et je lui dis : « Tiens va ni**er tes morts »… et je reçois 5 euros ! J’étais choquée ! Alors, j’ai continué en insultant sa grand-mère et un autre membre de sa famille.

J’ai culpabilisé

Mais après, je n’étais pas satisfaite d’avoir reçu de l’argent grâce à ce genre de pratiques. Je me suis remise en question. Je me disais : « Après tout, ce ne sont que des insultes ou des photos de pieds. Mais si ce n’est “que” ça, alors pourquoi ça te dérange tant ?» J’ai compris que la question était bien plus profonde, qu’en acceptant ces pratiques j’allais assouvir une satisfaction sexuelle. En quoi est-ce donc différent de la prostitution ?

Je ne viens pas forcément d’une famille aisée mais d’une famille digne. La réputation de mes origines berbères se base sur « zawali wfhal », ce qui veut dire « pauvre mais débrouillard ». Nous sommes dignes. Ce fut donc la seule fois où j’ai « accepté » et « coopéré ». Mais les messages ont continué à venir à moi…

Avec le temps, j’ai compris que ces gens utilisaient la fonction de la barre de recherche Twitter pour des recherches telles que : pied, moneyslave, fandom, sugar baby/daddy, etc. J’ai donc aussi eu le droit aux propositions d’un sugar daddy. Pas plus tard que la semaine dernière, j’ai reçu sur mon Instagram le message suivant :

*Confidential* Hi Maissa, our client, a wealthy French businessman, has shown interest in your profile and would like to know if you would be interested in having a fit and generous sugar daddy. The starting allowance would be 300€/day, all trips included in luxurious conditions in the most exclusive locations, and gifts depending on your involvement […].

Kind regards,

The Agency 

Pour résumer, un homme souhaite que je sois son esclave sexuelle en échange d’argent, de voyages et d’autres petits plaisirs de la vie. Le tout sous forme d’annonce de recrutement, comme si tout était normal.

On ne doit plus être l’objet des hommes

Maintenant, ces pratiques me dégoûtent. J’y vois la prostitution des temps modernes, complètement banalisée. Des plans remplis d’arnaques, de malveillance, de vices et d’immoralité. Tout simplement des choses dont je ne suis absolument pas composée.

Emmanuelle est hôtesse de téléphone rose. Un job pas toujours très rose justement… mais elle, elle kiffe.

Capture d'écran de l'article "Je fais du téléphone rose... pour l'argent et le plaisir" publié sur le site de la zep le 14/02/2020. Image d'une bouche avec du rouge à lèvres rose derrière un mur rose déchiré, ne laissant voir que la bouche et le nez. En dessous, un téléphone en bakélite lila.

Je respecte celles qui le font : elles ont réussi à se créer leurs principes, leur propre vision de la dignité, elles se remplissent les poches. Mais voir des jeunes filles se réduire à ça, encore et toujours, n’aide aucunement la société à avancer. Des femmes se sont battues pour que nous ne soyons pas l’objet des hommes et, en faisant ça, elles nous maintiennent dans cette image d’objet. Elles acceptent aussi de nourrir la misère sexuelle de ces hommes.

Aujourd’hui, toute cette situation me dépasse. En plus, selon moi, ceux qui proposent ce genre de deal n’ont aucune considération pour nous, les femmes. J’ai envie de tous les insulter. Sauf que si je le fais, je vais en satisfaire plus d’un !

Maissa, 20 ans, en formation, Marseille

Crédit photo La ZEP

 

 

Le travail du sexe

Sur OnlyFans, la grande majorité des contenus postés sont des photos et vidéos dénudé·es ou porno.

La crise sanitaire a fait exploser la plateforme, et donc les débats autour du travail du sexe (prostitution, strip-tease, photos érotiques, etc.).

Sur ce sujet, même les féministes les plus engagé·es ont du mal à se mettre d’accord. Il existe trois courants de pensée majoritaires :

– La légalisation : on pense qu’il faut normaliser le travail du sexe parce que les femmes doivent décider de ce qu’elles font de leur corps. Pour cela, il faut le légaliser et le faire encadrer par l’État.

– La décriminalisation : on pense qu’il ne faut pas criminaliser le travail du sexe parce que les femmes doivent décider de ce qu’elles font de leur corps. Ce courant de pensée ne prône pas l’encadrement de la prostitution par la loi, parce que si l’État gère ce secteur, les travailleurs et travailleuses sans papiers seront encore plus précarisé·es.

– L’abolitionnisme : on veut voir disparaître ces activités parce qu’on pense qu’elles alimentent le système patriarcal. Les abolitionnistes considèrent que le travail du sexe n’est justement pas un travail, mais un mécanisme de domination du corps des femmes par les hommes.

Et puis il y a toutes celles et ceux qui ne savent pas trop dans quel camp se placer, parce que ça reste une question complexe.

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1 réaction

  1. Pas mal

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