Lucas M. 08/02/2023

Ma tour me manque déjà

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Le bâtiment dans lequel Lucas a grandi doit être détruit. Sa famille et lui sont les derniers à avoir quitté cette tour emblématique de Villiers-le-Bel.

Je suis le dernier habitant à avoir vécu dans la tour du 15. Tu connais ? C’est à la ZAC, un quartier de Villiers-le-Bel, dans le Val d’Oise, 95. C’est un symbole de la ville. Les gens disent « ah oui, près de la tour du 15 » ou « cette grosse tour, là ! ».

Le bâtiment est en très mauvais état : des balcons rouillés, beaucoup de rats, des volets détruits, des murs en bois endommagés. Quand on y était encore, il y avait énormément de cafards. Les traitements qu’ils mettaient ne marchaient pas et les escaliers avaient une mauvaise odeur. Les gardiens, ils ne passaient le balai qu’une fois par an, et même ça ce n’était pas sûr.

On vivait au neuvième étage. Il y avait deux ascenseurs, mais un qui ne fonctionnait pas souvent, du coup on prenait l’autre. Et c’était de la merde : dix secondes pour que la porte s’ouvre !

Souvenirs de Villiers-le-Bel

Un jour en 2016, ils ont juste dit qu’ils allaient démolir la tour et qu’on devait déménager. Je ne suis pas sûr, mais je crois que c’est la mairie qui a décidé. Quand j’ai su qu’on devait partir, je n’ai pas du tout voulu. Une personne est venue chez nous et a enquêté sur quel genre d’appartement on voulait pour après. Ensuite, on a reçu notre première proposition. Là j’étais triste : c’était dans le sud de la France. On a refusé, puis ils nous ont proposé un autre logement : refusé aussi, parce qu’il n’était pas en bon état. Le troisième, on a accepté parce que c’était beau, et on a fini pas loin de la ZAC, mais avec un voisin bruyant.

Dans la tour du 15, là les voisins étaient sympas. Tu veux savoir pourquoi ? Un soir, en avril de l’année dernière, un voisin a frappé comme un malade sur notre porte : il y avait une énorme fuite de gaz. Ça a réussi à nous réveiller et on a pu sortir. 300 personnes ont été évacuées. On a passé la nuit dans l’école où j’étudiais, l’école Ferdinand Buisson, jusqu’à 3 heures du matin. Il y en a un, il était venu en slip, du coup ça m’a fait rire.

On avait un voisin, c’était un vieux mais il était bizarre wesh, il était réputé pour être un fou. Il se promenait nu dans les couloirs, mais après un certain moment il n’est plus sorti. Du coup, soit il a déménagé sans qu’on le remarque, soit il est mort dans son appart, mais ça vraiment j’en doute.

Je dis ça parce que c’est arrivé à une vieille qui était aussi ma voisine. Elle avait mis du scotch sur sa porte et sur sa sonnerie, parce que parfois il y avait des cons qui sonnaient puis ils se cassaient. Cette vieille, elle est morte dans son appart, puis la police est venue pour nous interroger. On avait aussi comme voisins une famille, elle était indienne comme nous. On se parlait un peu, puis ils ont déménagé sans qu’on remarque. Dans la tour, ce n’est pas comme si tout le monde se parlait, mais on se connaissait à peu près tous.

Tout noir dans les couloirs

Tout le monde a déménagé les uns derrière les autres. Alors, dans le bâtiment, c’était tout silencieux. Moi, je n’avais pas peur, mais mes parents eux avaient peur que quelque chose arrive à ma sœur. Je devais l’accompagner jusqu’en bas de la tour et elle devait envoyer un texto quand elle rentrait du collège ou d’ailleurs, comme ça ils se tenaient prêts à lui ouvrir la porte. Dans les couloirs, il n’y avait plus d’électricité, il faisait tout noir.

Ramzy vivait dans un bâtiment insalubre de la cité des Presles, à Épinay-sur-Seine. Les propriétaires ont décidé de le vider le plus vite possible, sans se soucier du sort des habitant·es qui y sont encore.

En plus, normalement on devait être seuls dans l’immeuble, mais en réalité on ne l’était pas. Il y avait des squatteurs. Les gardiens avaient mis des briques de construction pour les empêcher, mais ils avaient des pioches, ils sont entrés. Ils nous volaient nos fusibles pour s’offrir de l’électricité, alors mes parents les gardaient dans l’appartement et on les utilisait que quand on en avait besoin. C’était répétitif, puis un jour ils ont arrêté de nous voler.

Moi et ma mère, on a rendu les clés cet été, quand on a déménagé. Si tu veux le savoir, oui cette tour me manque déjà. Ma mère m’a dit : « Même si on a eu beaucoup de problèmes dans ce bâtiment, on a eu plus de bons souvenirs que de mauvais. » Moi, la tour du 15, elle aura toujours une place spéciale dans mon cœur.

Lucas, 14 ans, collégien, Villiers-le-Bel

Crédit photo Pexels // CC Kayode Adedeji

 

 

Selon le rapport 2022 de la fondation Abbé-Pierre, depuis quinze ans…

 

– Le nombre de constructions de logements sociaux n’a jamais été aussi bas.

– Le prix des logements sociaux n’a jamais été aussi haut (hausse de 154 %).

Pourtant…

Le nombre de demandeurs et demandeuses a augmenté de 20 % en huit ans.

Résultat…

La demande de logement social progresse deux fois plus vite que le nombre de places disponibles.

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