Mayotte n’est plus l’île que j’ai connue
À 10 ans, j’ai quitté Mayotte pour la métropole. J’y étais né, à Mamoudzou, d’une mère comorienne et d’un père mahorais. Et j’ai grandi à Kaweni, une très grande ville, la principale, sur Grande Terre. Dans mon souvenir, c’était l’île de l’enfance et de l’insouciance.
J’avais gardé l’image de l’île tropicale, avec des bananes, des cocotiers, un beau lagon, du sable blanc… À l’époque, enfant, je retrouvais mes amis au quartier Sim, un endroit tout propre, calme, tranquille, avec des familles, des vieilles dames et beaucoup d’enfants. On jouait à zawurocha, le jeu du loup, à la marelle, aux billes, au ballon… C’était une époque magnifique. Quand mes parents ont décidé de partir vivre en métropole, c’était dur, ça m’a fait mal de quitter mes amis d’enfance. Un arrachement, j’ai pleuré au moment du départ.
En France, on s’installe à Vénissieux. Mayotte me manque beaucoup et j’y pense souvent. Je grandis et à l’adolescence, ma grand-mère mahoraise, qui vit aussi en métropole, me raconte l’histoire de l’île. Elle me parle de la colonisation, de la façon dont mes ancêtres se sont battus pour que l’île devienne française. Ça me touche.
La Mayotte de mon enfance était devenue si violente
En 2017, l’heure est venue de retourner sur mon île. Je suis content, impatient, je compte les jours jusqu’au départ. Enfin, je rentre chez moi ! Enfin, je vais retrouver mon île, mon quartier, mes amis d’enfance… !
Mais à l’arrivée, la réalité est très différente. La Mayotte de mon enfance a gravement changé. Le lendemain de mon retour, alors que je vais au quartier, je vois des jeunes foncer sur une mamie et lui arracher son portable. Elle résiste, ils sortent alors un couteau et la poignardent avant de partir en courant avec ses bijoux. Je panique. Mon cœur bat fort. Je fonce chez moi, ma mère sort, elle crie, les voisins sortent, les pompiers arrivent.
Deux semaines plus tard, ma mère m’envoie faire les courses. Sur la route du collège, je vois des jeunes arrêter un Blanc et lui demander son téléphone. Comme il refuse de leur donner, ils se mettent à le frapper jusqu’à ce que son téléphone tombe…
Quelques jours passent encore et une nouvelle attaque a lieu sous mes yeux. Des jeunes s’en prennent cette fois à un ami de mon père, un photographe dont ils voulaient voler le matériel. Il résiste. Ils sortent alors un couteau et le poignardent. Cette fois, c’est moi qui appelle les pompiers.
Mayotte, on dirait que ce n’est pas la France
C’est ça Mayotte, en fait ? Qu’est devenue mon île ? Mayotte a grave changé ! Des mamans, des personnes âgées, des jeunes se font racketter chaque jour. C’est ça la France ? Il n’y a plus de sécurité sur l’île. La police et les secours mettent des heures à arriver. Ce sont les jeunes qui font la loi.
Dhoim a vécu son année de terminale au rythme des caillassages. Son lycée, à Mayotte, est régulièrement pris pour cible.
Et que dire de la pauvreté ? Elle me fait mal. C’est une pauvreté que je n’ai jamais vue en métropole, ni à la Réunion. Dans chaque ville mahoraise, il y a des bidonvilles, des favelas. Les routes sont très abîmées, les caniveaux sales.
Il y a des aides d’État pour certains citoyens mahorais. Mais les étrangers méritent aussi d’être aidés. On les laisse mourir de faim. Il n’y a pas de foyers d’urgence pour les accueillir comme en métropole. Mayotte, on dirait que ce n’est pas la France. L’État est présent, mais il n’existe plus. Il a démissionné. Mon île va très très mal.
El-Anrif, 18 ans, stagiaire, Marseille
Crédit photo Pexels // CC Maksim Romashkin