À 6 ans, j’ai appelé la police
À peine quelques années après ma naissance, j’assiste déjà à un film d’horreur. C’est comme ça que beaucoup de gens qualifieraient cette période. Mais ce n’est pas un programme télé. Le logo « - 16 ans » n’est pas affiché en bas de l’écran et aucun message de prévention contre des scènes de violences n’apparaît avant le début du film. J’ai 3 ans et c’est la première fois que je vois mon père faire du sport de combat. Le seul souci, c’est qu’il n’y a pas d’entraîneur, et la personne à qui il met des patates, c’est ma mère.
Elle est rentrée une heure plus tard que d’habitude à cause du travail et des bouchons. Moi, j’ai 3 ans, alors je ne comprends pas trop ce qu’il se passe, mais je regarde. C’est la seule chose que je peux faire à cet âge-là, en réalité. Dans ma tête d’enfant, je me dis que c’est bizarre mais que ce n’est pas grave. Ça n’était jamais arrivé que mes parents crient si fort. Je fais abstraction et je retourne jouer. Quand je redescends pour aller aux toilettes, je vois mon père frapper ma mère comme s’il devait casser une bûche à la hache. Pourquoi ?
« Un homme, ça ne pleure pas, ça n’a pas peur ! »
Forcément, ça forge un caractère et une certaine façon d’être. Qu’est-ce que je peux faire ? Ces scènes de violence vont se reproduire jusqu’à mes 6 ans. Je vois toutes ces choses, mais évidemment jamais une larme, jamais de peur, parce que comme dirait mon père : « T’es un homme ou pas ? Un homme, ça ne pleure pas, ça n’a pas peur, regarde-moi ! »
À 5 ans, je retiens juste que je dois rester sans émotion devant ça. Mais, du coup, être un homme c’est aussi faire ça ? Frapper sa femme ? Frapper ma mère ? Je suis un enfant très jeune mais, heureusement, je ne suis pas stupide, et je comprends que c’est mal. Mais, du haut de mes trois pommes, comment faire pour arrêter ça ?
On est jeudi soir, j’ai 5 ans, ma mère rentre après avoir été chercher à manger pour toute la famille. Mon père n’aime pas. Alors il ne mange pas ? Non évidemment, ça serait si simple. Il hurle sur ma mère et la sort de la maison par les cheveux. Moi, bah je mange, parce que de toute façon je n’ai que ça à faire. Mon frère, 13 ans à l’époque, a bien essayé de s’interposer, mais sans succès.
La scène de violence de trop
Je grandis dans cet environnement « stressant », confronté à des scènes semblables à celles-là régulièrement. L’une d’elles m’a particulièrement traumatisé. On vient de rentrer de vacances dans le Sud et mon père arrive à la maison, complètement saoul. Il ne lui faut pas plus de dix minutes avant de saccager toute la maison, les tables, les chaises en passant par les lampes. Et, évidemment, ma mère en prend plein dans la tête, une fois encore. Cette fois, ce sera la dernière. Du haut de mes 6 ans, je décide de sortir et d’aller voir la voisine pour appeler la police.
Mes parents divorcent lorsque je suis encore en CP, et c’est un peu perturbant de les voir se séparer. On ne comprend pas trop ce qu’il se passe. Et puis les autres élèves ont toujours leurs deux parents à la maison. Je me sens différent, c’est vrai. Mais je crois que le plus étrange dans tout ça, c’est que je me retrouve seul avec ma mère pendant deux ans.
Quand je revois mon père pour la première fois depuis longtemps, j’ai le sentiment que c’est quelqu’un d’autre. Je redécouvre une nouvelle personne et on fait plein de choses, j’en oublie même ce qui a pu se passer avant. C’est en grandissant que je comprends. Alors, une barrière naturelle s’installe entre lui et moi, et je suis méfiant. Je ne dévoile pas grand-chose, mais on continue de se parler et de se voir de temps à autre, peut-être une fois ou deux tous les trois mois.
Vivre dans la violence, c’est fini
Je me souviens que ma mère me répétait souvent : « Tu sais, ça ne fait pas si mal. » Évidemment, elle mentait, elle me disait ça pour me rassurer et ne pas m’inquiéter. Petit, j’y ai cru pendant longtemps. À cet âge-là, on est bien naïf. Et on se pose trop de questions quand on voit ses camarades d’école et leurs parents : « Pourquoi ses parents sont si proches ? » ; « Pourquoi les miens sont comme ça ? »… Je me sentais bizarre mais je ne le disais pas aux autres. J’en suis même venu à me demander si c’était normal que je ne pleure jamais et que j’arrive à m’amuser, alors que chez moi c’était le chaos et la violence permanente.
Après un début de relation idyllique, Aria se retrouve sous l’emprise de son ex-compagnon. Coups, culpabilisation, insultes… L’engrenage s’installe.
En grandissant, j’ai compris que les mensonges des adultes rassuraient les enfants. Je crois que c’est pour ça que cette histoire ne m’a jamais impacté dans ma vie. Je n’ai jamais ressenti le besoin d’en parler. Toutes les fois où je l’ai fait, c’était toujours avec un relâchement total, sans donner l’impression que ça soit grave et secret. J’en parlais comme si c’était anecdotique, et c’est là que je me dis que j’ai vachement été conditionné par ce que ma mère me disait.
Aujourd’hui, je me rends compte de la gravité de la situation à laquelle j’ai été confronté pendant plusieurs années. Je me demande comment on peut en arriver là, à un tel niveau de violence. Qu’est-ce qui pousse quelqu’un à faire ça ? Il y a un côté « positif » malgré tout : l’impact que tout ce passé a eu sur moi. Grandir dans un climat violent, de peur et de méfiance m’a rendu beaucoup plus fort.
Antoine, 21 ans, étudiant, Maubeuge
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