Voilée, femme et racisée
Dans ma tête, tout était normal jusqu’à mon épreuve orale d’espagnol, en deuxième année de BTS. Une année de travail intense, une année décisive pour mon avenir. Après avoir écouté l’audio et pris des notes, je me suis dirigée vers la salle dans laquelle m’attendait mon examinatrice. Tout se passait au mieux jusqu’à la question suivante : « Tu es une femme, tu es colorée de peau, tu es voilée. Tu coches donc trois critères de discriminations. As-tu déjà été victime de discrimination ? »
J’ai dit à l’examinatrice que je n’avais jamais subi de préjudice à cause de mon voile, de mon origine ou parce que je suis une femme et que j’espérais ne jamais en faire l’expérience dans le futur, notamment dans ma carrière professionnelle. C’est à ce moment-là que je me suis rendu compte que j’étais vulnérable, que ça pouvait m’arriver.
En 21 ans d’existence, je ne me suis jamais sentie « différente ». Je suis une femme, je ne suis pas blanche, je suis voilée. Mais personne ne me l’a jamais fait remarquer, que ce soit au sein de ma famille ou durant ma scolarité. J’enlevais mon voile avant d’entrer à l’école et je le remettais en sortant. Je vivais un peu dans le monde des Bisounours : pour moi, il y avait du racisme et du sexisme en France, mais personnellement, je ne l’avais pas vécu. En revanche, j’avais lu beaucoup d’articles, de textes écrits par des victimes de discriminations sur les réseaux sociaux. Ça faisait peur mais sans plus, parce je n’avais rien entendu dans mon entourage… à ce moment-là.
« Vous avez les capacités, mais »
Aujourd’hui, je suis volontaire en service civique au sein d’une association. Il y a quelques mois, j’ai postulé à un stage de deux semaines dans une grande entreprise de luxe. Franchement, je n’aurais jamais postulé dans une telle entreprise par moi-même. Mais cette opportunité, je ne pouvais pas la laisser passer ! Ayant fait un BTS spécialité ressources humaines et n’ayant pas d’expérience dans le domaine, ça m’aurait apporté beaucoup d’expérience, de nouvelles compétences et, éventuellement, un job. Ça aurait été un grand plus dans mon CV. Mais comme vous avez dû le deviner, je n’ai pas eu ce poste.
La première étape du recrutement était l’envoi d’une vidéo de présentation de moins de cinq minutes expliquant notre parcours. J’ai été sélectionnée pour la seconde étape ! Ensuite, l’entretien : j’ai mis ma plus belle tenue professionnelle, mon plus beau voile, j’ai pris mon petit carnet et mon stylo. Arrivée sur les lieux avec une bonne avance, j’attendais dans le grand hall qui était déjà magnifique. Contrairement à ce que je craignais, l’entretien s’est super bien passé : stress évacué, questions simples, recruteurs bienveillants. Dans ma tête je me disais : « Le retour ne peut être que positif… »
Après plusieurs semaines d’attente, j’ai reçu un appel de la fameuse entreprise. Cette fois-ci, ce n’était pas une bonne nouvelle : « J’ai eu un retour très positif, l’entretien s’est très bien passé, vous avez un profil RH… MAIS nous ne pourrons malheureusement pas vous prendre par manque de personnel RH. Mais sachez que vous avez toutes les capacités et que vous n’avez pas besoin de ce stage pour réussir. »
C’est le voile ou mon genre ?
C’est là que je me suis dit : « C’est mon voile… » Mes collègues masculins (non-blancs) qui avaient postulé ont tous été pris. Si j’ai les capacités, pourquoi ne pas me prendre ? C’est la question que je voulais lui poser, mais je me suis contentée de la remercier et raccrocher. Malgré ma grosse déception, j’avais une petite intuition, au fond de moi, qui me disait que je n’allais pas être prise pour ce stage.
Depuis qu’elle porte le voile, Alisa a vu sa vie professionnelle bouleversée, entre entretiens écourtés et demandes frontales de le retirer.
Cependant, je ne me suis pas arrêtée là ! Après plusieurs échanges avec différentes personnes, j’ai décidé de ne pas laisser passer cette chance aussi simplement. J’ai donc décidé d’envoyer un mail pour demander s’il était toujours possible d’effectuer ce stage, même dans un autre service. J’ai reçu une réponse une semaine après : « Je suis confuse mais nous n’avons plus de parrains possibles, nous sommes allés au max de nos volontaires. »
Deuxième déception, mais moindre. Pourquoi moindre ? Parce que je n’avais plus la motivation du début. Je ne voulais pas forcer plus. Je me suis juste dit que c’était le destin, que si j’avais été refusée, c’est que ce n’était pas pour moi.
Mourchida, 21 ans, volontaire en service civique, La Courneuve
Crédit photo Pexels // CC Ron Lach
La discrimination à l’embauche est encore très répandue en France. Par exemple, un·e candidat·e qui porte un nom de famille maghrébin a 32 % de chances en moins d’être rappelé·e par un recruteur.
Les femmes voilées en sont particulièrement victimes. Pour pallier cette discrimination, certaines mettent en place des stratégies qui ont un impact direct sur leur carrière.
– Le déclassement social : à force de recevoir des réponses négatives à leurs candidatures, certaines femmes vont revoir leurs ambitions à la baisse et postuler à des postes inférieurs à leur niveau d’études. D’autres décident de mettre leur carrière en pause : une position difficile à assumer auprès de l’entourage.
– La (sur)sélection des entreprises : certaines ne perdent plus de temps à postuler dans des entreprises capables, a priori, de les discriminer. Elles se tournent souvent vers des associations, des entreprises engagées, confessionnelles ou militantes.
– La reconversion professionnelle : certaines femmes changent de poste ou de domaine d’activité pour s’orienter vers des secteurs qu’elles jugent plus tolérants, ou se lancent elles-mêmes dans l’entrepreneuriat pour éviter les discriminations de la hiérarchie et des collègues.
– La mobilité : certaines décident de chercher un emploi dans d’autres régions, voire à l’étranger, notamment dans des pays où les discriminations à l’embauche se font plus rares.