Entre le 93 et Paris, j’ai vite fait la différence
Très peu de temps après avoir changé de collège l’année dernière, j’ai fait la différence entre Paris et sa périphérie. Je me souviens de ce jour. J’étais assis dans la cour du collège et je n’avais pas encore d’ami. Les autres s’en foutaient un peu de moi, ils me regardaient bizarrement. Ils étaient curieux de voir un nouvel élève dans leur cour. Après, j’ai appris qu’il y avait très souvent de nouveaux élèves, du coup ça m’a fait repenser à mon ancien collège.
Aux Lilas, quand il y avait un nouveau, très souvent, on le connaissait déjà. Soit parce qu’il venait des cités adverses à la nôtre, ou alors parce qu’il faisait du foot avec nous. Dans le cas où il venait d’une autre ville, l’élève se faisait très rapidement frapper. Généralement, on ne revoyait plus ces élèves, ils finissaient déscolarisés ou changeaient de collège.
Ça fait un an que je suis à Paname. Mes connaissances ne font qu’évoluer, socialement, au lycée ou dans ma culture. J’ai désormais une toute autre approche de Paris, contrairement à mes amis qui sont restés aux Lilas.
Une éducation différente
Mes potes, je les ai rencontrés à l’école ou au collège. Ils viennent soit de la cité, soit des quartiers pavillonnaires de ma ville. Quand j’ai changé de ville, j’ai tout de suite vu la différence dans l’éducation. Aux Lilas on grandissait avec les grands frères qui nous apprenaient la vie. Ici à Paris, on grandit avec les parents qui nous apprennent à travailler et à continuer l’école.
Aux Lilas, j’ai plusieurs amis qui ont perdu leur père ou leur mère. La plupart du temps, c’est le père qui quitte la famille, souvent pour une autre femme, sinon, il retourne au pays. La mère reste alors toute seule avec, souvent, plusieurs enfants. Elle doit donc travailler plus et laisser ses enfants s’occuper de leur éducation. Malheureusement, à cause de ça, mes amis lâchent les cours et ne prennent plus de temps pour faire attention à leur éducation. Je connais la vie de ces élèves car j’ai été élu délégué au conseil de discipline, ça nous permet de recontextualiser l’environnement dans lequel vit l’élève.
C’est là que les surveillants jouent un rôle très important. Ce sont les seuls qui sont proches de nous, on ne peut que les aimer. Ils nous connaissent tous, ils nous aident, font attention à nous, suivent notre éducation,… Si on sèche les cours, ou si on fait des conneries, c’est notre problème et ils ne se privent pas : ils arrêtent de nous aider.
À Paris, c’est différent. Les parents sont souvent séparés, mais ils restent présents dans la vie de leurs enfants. Ils sont plus présents dans l’éducation de mes amis. Mes amis parisiens travaillent très souvent bien et sortent beaucoup.
À Paris on est libre
Lorsqu’on va jouer au foot au stade, on se sent obligés d’aller dire bonjour aux grands. On a besoin d’avoir une reconnaissance de quelqu’un de plus vieux que soi, pour montrer qu’on est proches d’eux. Mais pour moi à Paris, ce n’est pas la même chose. Le sport est moins important au quotidien. On se sent moins obligés de faire du sport, souvent parce qu’il y a moins d’accès et surtout parce qu’on est flemmards. On traîne toujours au même endroit mais on croise peu de gens qu’on connaît, parce que la capitale est grande.
Aux Lilas, quand on sortait, c’était souvent pour aller manger ou pour aller au cinéma. Les parcs et les foyers, ça n’était plus pour nous. Les plus jeunes nous avaient remplacés. On était plus du genre à rester à la cité, à traîner et c’était plutôt ennuyant. On allait parfois au stade, mais là c’était les grands qui jouaient donc ce n’était pas trop notre place. Les sorties à Paris sont les mêmes : on sort, on traîne, on mange et on rentre. La différence avec Les Lilas c’est qu’à Paris on est libres, on fait ce qu’on veut ! Aux Lilas, on connait des gens partout, c’est compliqué de faire des conneries sans être reconnus.
Des chemins différents
Des potes aux Lilas, je n’en ai plus trop, on a pris des chemins différents. Les seuls avec qui je suis resté amis sont ceux qui habitent dans le quartiers pavillonnaires parce qu’ils savent que notre vie ne va pas se résumer à rester au quartier. Quand je dis « des chemins différents », je parle de notre futur. Ceux qui viennent du quartiers pavillonnaires vont être amenés à aller en études supérieures ou à la fac. Mes potes de la cité vont tout de suite travailler, au Lidl de la cité ou au garage d’un cousin, d’autres ne vont pas travailler du tout. Cette différence de futur va s’expliquer par l’argent. Ceux qui vivent dans des maisons vont être plus nomades que les gars de la cité qui, eux, vont être beaucoup plus sédentaires. Et, bien que la situation de mes anciens potes soit inconcevable pour beaucoup de gens, ils ne se soucient pas de leur avenir et sont très heureux comme ça.
Dans mon vrai groupe de potes des Lilas, que je connais depuis petit, on traîne désormais tous à Paris, les gars comme les filles. Les anciens ont remarqué qu’on avait changé, certains d’entre nous se sont mis à fumer ou à boire durant les soirées, à l’inverse d’eux. Ils s’en foutent un peu, parce qu’on va tous grandir un jour, donc peu importe. À Paris, les jeunes sont de très grands consommateurs de cigarettes, je ne sais pas pourquoi mais les trois-quart de mes potes fument. Aux Lilas, les jeunes fument aussi, mais plus la chicha et les puffs, car ils préfèrent les goûts proposés (pastèque, menthe fraîche…) et parce que c’est moins cher que les cigarettes.
Musique, vêtements et business
Dans les points communs qu’il peut y avoir entre mes actuels et anciens potes, il y a la musique. À Paris, on écoute exactement la même musique qu’en banlieue. On écoute du rap, ce n’est pas forcément les paroles qui font que tout le monde aime mais c’est plus le style de musique ou le rappeur. Je prends l’exemple du rappeur Tiakola. Il mélange rap, drill et style urbain. C’est ce que les jeunes aiment ! C’est pour ça qu’il marche en banlieue et à Paris.
Les vêtements aussi, c’est important pour tout le monde. Dans les vêtements, je parle du style mais aussi d’un business qui s’est créé : le refund [remboursement, ndlr] . C’est ce que font mes potes. Ils commandent des paires chez Nike et quand ils reçoivent les chaussures, ils signalent qu’ils ne les ont pas reçues et ils sont remboursés. Ensuite, soit ils gardent les paires soit ils les revendent. Dans tous les cas, ils font du bénéfice. Ce business intéresse tout le monde.
Pour moi le fait d’avoir connu deux milieux différents est très important. Ça m’a appris à être plus libre. Je me sens à l’aise avec les gens, peu importe leur milieu social. Je suis à l’aise avec les commentateurs de foot les plus connus de France (des amis de mes parents) comme je suis à l’aise avec le nouveau caissier de chez Carrefour City. C’est le fait d’avoir connu la différence entre Paris et Les Lilas qui m’a permis de devenir ainsi.
Léopold, 15 ans, lycéen, Les Lilas