Gabrielle G 22/11/2021

À cause de mes notes, je suis devenue une paria

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D'établissement public à privé, Gabrielle témoigne du harcèlement scolaire et des difficultés à l'école qui ont pesé sur sa scolarité. Elle s'en est sortie, mais les séquelles sont encore présentes.

« Vous vous en rendez compte ? Sur un texte de 10 lignes, 42 fautes ! 42 ! » Ces phrases de la maîtresse resteront à jamais ancrées en moi.

De ma petite section à ma première année de primaire, j’ai été scolarisée dans une école publique. Et depuis les bribes de ce dont je me souviens, l’école où je me suis retrouvée n’était pas la meilleure. Avoir des bonnes notes était facile, les professeurs s’en fichaient qu’on soit bons ou pas. À vrai dire, la seule chose que je me rappelle avoir apprise était lire et écrire. Mais après l’alphabet, les mois de l’année, les multiplications, additions, soustractions… Je ne savais rien.

Les professeurs et les surveillants ne faisaient pas leur travail, par conséquent les enfants avaient champ libre pour les bêtises. Chaque soir je revenais chez moi avec de nouveaux bleus sur le corps, et au lieu de nous arrêter, on avait presque l’impression que les adultes nous observaient comme on regarde des gladiateurs se battre pour survivre. Le pire était que l’établissement ne prenait absolument pas de responsabilités ! À chaque fois qu’un parent venait se plaindre à la direction, la seule chose qu’on leur disait était « Il s’est cassé la jambe ? Ah mais ça ne s’est pas passé ici, il a dû tomber sur le chemin. »

L’impression d’être à la ramasse

En ayant marre, mes parents ont décidé de me changer d’établissement, et m’ont mise dans une école privée pour mon année de CE1. J’ai immédiatement ressenti le changement. Je me rappellerais toujours de cette première dictée au début de l’année, mon résultat ? Le pire de la classe ; un 0 pointé, avec plus de 42 fautes.  C’était horrible, j’avais l’impression d’être la personne la plus débile du monde, « une attardée mentale » comme disaient mes camarades de classe. Et je détestais ça, je détestais être « inférieure », en dessous de la moyenne, à la ramasse.

En raison de mes lacunes, je suis vite devenue une paria. Certes là-bas la violence physique n’était pas commune, mais le harcèlement moral n’en était pas moins présent. Durant la première année j’avais tout de même une amie, je comptais sur elle pour absolument tout, je lui disais mes secrets, je jouais avec elle. Elle me permettait d’oublier le fait que tout le reste de la classe m’ignorait car je « n’en valais pas la peine ». Elle était devenue le centre de ma vie. Mais, petit problème, l’année d’après, le jour de la rentrée, elle a commencé à m’éviter. Elle me laissait dans mon coin, et quand j’essayais de lui parler, elle m’ignorait.

Difficultés à l’école, harcèlement, solitude : tout s’accumulait

Alors tout s’est additionné : les difficultés à l’école, la solitude, les insultes constantes… je n’en pouvais plus. Je passais mes journées à travailler, mes week-ends étaient uniquement remplis de tables de conjugaison et de divisions à trois chiffres. Je ne sortais pas de chez moi, j’étais renfermée dans ma chambre, je travaillais. Je voulais prouver aux professeurs et aux autres enfants que je n’étais pas juste une personne sur le côté qu’on pouvait pousser jusqu’à ce qu’elle tombe. Que je pouvais réussir, que je n’étais une peine perdue. Résultat, en CM1 j’avais de bonnes notes, de très bonnes notes, mais cela n’a pas suffit. J’étais toujours moi, Gabrielle ; la retardée. J’avais beau montrer et crier haut et fort mes 18 et mes 19, cela ne changeait rien, le mal était fait. Ma réputation d’abrutie resterait de marbre. Quant aux professeurs, je me suis vite rendu compte qu’ils s’en fichaient. Tu as des bonnes notes ? Bien pour toi. Mais si tu en as des mauvaises, là par contre ça ne va plus.

Alors j’ai tout simplement abandonné, j’ai décroché, d’absolument tout. Je ne voulais pas me réveiller le matin, j’avais mal au ventre dû à mon stress, je n’arrivais pas à dormir la nuit et je ne voulais qu’une seule et unique chose : en finir. Pour moi, le traitement que je recevais autour de moi était normal, à vrai dire je ne savais même pas que c’était du harcèlement. Je l’avais accepté, je ne cherchais plus de raisons, je savais juste que c’était à cause d’une chose : j’étais moi. Je ne faisais qu’une chose à part montrer de la haine envers mon entourage ; je lisais.  Il n’y avait plus que moi, moi et mes livres. Je me disais qu’au moins, eux, ne pourraient pas me trahir. Ma relation avec mes parents aussi avait commencé à se dégrader. Je leur en voulais de m’avoir faite, mais ils ne savaient pas comment ça se passait à l’école. Après tout, je ne leur disais rien.

L’amitié m’a sortie de cette situation

Pendant des années ce fut comme ça, jusqu’à ce que je me trouve des amis. Cela peut paraître un peu « my little poney friendship is magic », mais l’amitié que j’ai eue avec ces deux filles m’a « sauvée ». J’ai cessé de faire attention à ce que les autres pensaient, les rumeurs étaient toujours présentes, et ma réputation restait toujours aussi pourrie, mais au moins j’avais une barrière face aux autres. Elles m’ont aidée à sortir de ma haine et tristesse constantes, et j’ai enfin réussi à me dire que l’humanité valait peut-être le coup.

Aujourd’hui j’ai encore changé d’établissement. Je suis maintenant dans un autre lycée public, en communication visuelle, et ma vie est bien meilleure. Je me suis encore faite des amis, et j’ai moins peur du regard des autres, mais malheureusement cette expérience m’a profondément marquée. Je ne sors quasiment pas de chez moi et je suis tout simplement terrifiée à l’idée de me montrer vulnérable. Le harcèlement restera à jamais une partie de moi, et la seule chose aujourd’hui à laquelle je peux penser, est que rien de tout cela ne serait arrivé si mes professeurs avaient fait leur boulot.

Gabrielle, 15 ans, lycéenne, Paris

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