Lenia O. 10/05/2023

Les cheveux défrisés, c’était pas mon choix

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Même si elle a toujours apprécié ses cheveux au naturel, Lenia a mis du temps à apprendre à les porter : sa mère les défrisait contre sa volonté.

J’ai toujours aimé mes cheveux. Je n’ai jamais été complexée et je les ai toujours assumés sous toutes leurs formes. Mais quand j’étais petite, on me les défrisait, comme toutes les petites filles noires et métisses, du moins celle qui ont les cheveux crépus et frisés de nature. Un cheveu défrisé, c’est un cheveu auquel on enlève sa nature, les boucles du cheveux se détendent.

Quand j’étais petite, j’ai eu les cheveux défrisés non pas par choix, on me l’a juste imposé, comme à beaucoup d’autres. Je n’y voyais pas de problème. J’aimais voir mes cheveux lisses et longs, le jour du shampoing. Je voulais les mêmes que la plupart des petites filles blanches.

Dans le bain, je voulais que ma mère laisse couler l’eau sur mes cheveux pour qu’ils restent plats, lisses et longs. J’avais de beaux cheveux mais j’avais tout de même cette petite masse sur la tête lorsqu’on les brossait ou quand ils étaient secs. J’avais surtout de la chance que ma mère en prenne soin. Elle achetait les produits de la marque Dark and Lovely, la pommade Dax verte bien grasse et la lotion Miss Antilles.

Avoir la tête « propre »

Chez les parents d’Afrique subsaharienne en général, les cheveux sont très précieux. Surtout quand ils sont longs et « faciles ». Ma mère me faisait des tresses et des pompons comme elle les appelle (mettre un élastique à la racine, laisser de l’espace et remettre un élastique, puis rebelotte). J’étais toujours bien coiffée, parce que pour ma mère, une petite fille doit toujours avoir la tête « propre ». Elle laissait parfois ma p’tite masse quand on sortait, mais juste si le jour du shampoing approchait.

À partir du CM2, la maladie de ma mère l’empêchait de manier correctement mes cheveux. Ma marraine prenait le relais quelquefois, mais elle ne pouvait pas toujours. Donc mes cheveux qui étaient au bas du dos se sont vite retrouvés au niveau de mes épaules. Ils étaient très cassés et secs, je mettais des crèmes super grasses du type Palmer’s comme je pouvais, sans résultat. Je les trouvais moches et surtout, je me suis rendu compte qu’ils ne faisaient que tomber à chaque coup de brosse. Même en passant sa main, il y avait plein de petits morceaux de cheveux à terre.

En parallèle je m’intéressais aux cheveux naturels. Je regardais des vidéos sur Youtube et voyais des femmes noires, avec des cheveux crépus ou frisés, qui avaient eu dans le passé les cheveux défrisés. Elles se revendiquaient du mouvement Nappy. J’en regardais tout le temps, ça me fascinait.

Le défrisage, un sujet sensible

J’ai appris sur le danger du défrisage, sur ce que ça représentait. Pourquoi imposer un produit si chimique sur la tête d’un enfant ? Perturbateurs endocriniens, produits chimiques, crânes brûlés, problèmes de santé, voilà quels en sont les résultats.

Qui a déjà eu les mêmes cheveux que la fille sur la boîte de défrisant ? En plus, certains l’oublient mais un cheveu dénaturé c’est un cheveu fragilisé qui demande beaucoup d’entretien. Sinon, c’est la casse qui vous attend, tout comme moi. En réalité, l’histoire du défrisage remonte à bien plus loin : l’esclavage, la ségrégation, etc. C’est en réalité un sujet bien plus sensible qu’on ne le pense, l’héritage d’actions passées, un automatisme.

Je regardais aussi celles qui savaient se coiffer toute seule, ce qui n’était pas mon cas. Donc moi aussi, j’ai voulu me les couper pour repartir de zéro, voir à quoi ressemblaient mes cheveux sans défrisant. Bien sûr, ma mère ne voulait pas. J’ai attendu tout en apprenant à faire des nattes collées. Et en 2017, pendant les vacances d’été, alors que j’étais chez ma tata dans le Sud, j’ai saoulé ma mère avec le fait que je voulais les couper. Elle a cédé sans vraiment penser une seule seconde que j’allais le faire. J’ai découvert mes vrais cheveux, c’est-à-dire frisés-bouclés.

J’ai appris à m’occuper de mes cheveux

Quand je suis rentrée de vacances, elle a vraiment réalisé mais c’était trop tard. À partir de là, j’ai commencé à prendre soin de mes cheveux, même si au début c’était catastrophique. Ma mère m’avait même suggéré de les défriser de nouveau, ce que j’ai refusé. Repartir de zéro pour refaire la même erreur, ça n’a pas de sens…

En fin de compte, j’ai appris à m’occuper de mes cheveux, à les coiffer seule, ce que beaucoup n’arrivent pas à faire parce qu’ils trouvent ça difficile (tout comme moi à mes débuts). On est tellement conditionnées à s’occuper des cheveux des autres que finalement, on n’arrive plus à s’occuper des nôtres. Encore une fois, c’est dû à tous ces racistes qui nous ont fait croire que nos cheveux étaient moches, que c’étaient des tapis, des poils de moutons, etc.

Je suis rapidement devenue la coiffeuse de la famille. J’ai appris à faire des braids avec des mèches, des nattes collées avec ou sans mèche, sur ma tête d’abord. Ma mère et ma famille m’ont toujours encouragée dans la coiffure, même s’ils n’aiment pas tout ce que je propose. Ma mère est fière, j’ai appris à m’occuper de moi. Les coiffeuses, c’est un coût. Ceux qui ne savent pas coiffer savent à quel point c’est une galère.

Mes cheveux dérangent mais je les assume

J’ai gardé cette envie d’avoir la tête toujours « propre », mais en incluant que des cheveux lâchés, touffus, frisés étaient propres. Il faut juste leur donner une belle forme et en prendre soin pour qu’ils soient brillants et forts. Je n’ai jamais fait attention à ce que les gens disaient, même au sein de ma propre famille. Parfois, ce qui dérange ce ne sont pas tant mes cheveux que le fait qu’ils prennent beaucoup de place.

Quand ils sont super frisés, ça arrive que ma mère me dise de les attacher, que mes camarades de classe doivent être gênés par ça. Bien sûr, je ne les attache pas, et elle fait avec. Je lui explique que j’ai été complimentée pendant la journée. Et même si ça n’est pas le cas, tant pis. On m’a déjà demandé : « Eh Lénia, comment tu fais pour attacher tout ça ? » Bah tout simplement, mes cheveux sont polyvalents. Je peux passer d’un afro à un chignon très plaqué, à des cheveux plutôt définis, à des tresses, en moins d’une semaine.

Mes cheveux, c’est ma force. Je montre aux gens que je les aime à travers mes différentes coiffures, surtout l’afro. Certains apprécient ce « courage » que j’ai de les porter. Ça permet aussi à des gens de mon entourage d’avoir confiance et d’oser porter cette afro que les gens aiment tant dénigrer.

Oui, j’attire l’attention sur moi. Que ce soit de façon négative ou positive, je le prends très bien. Je me dis juste que je suis une très belle jeune fille avec de très beaux cheveux, et que c’est pour ça que l’on me regarde. Je ne suis jamais rentrée chez moi avec un complexe à cause du regard des autres. Les gens ne doivent pas avoir ce pouvoir sur moi.

Lénia, 17 ans, lycéenne, Île-de-France

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