Alexis 17/11/2021

Comme 98 000 enfants par an, j’ai été maltraité dans ma famille

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Ayant grandi avec un père violent, Alexis raconte la violence subie au sein du foyer familial.

Mon père travaillait la nuit. Il déchargeait les camions de marchandise pour une entreprise de commerce commençant par « Au » et finissant par « chan ». Il rentrait le midi, se changeait, prenait un pastis et se mettait dans le canapé pour regarder la télé. Si nous voulions changer de chaîne, il commençait à râler et nous gueuler dessus. Après sa sieste, vers 18h, il mangeait, regardait la télé et allait dans sa chambre. Et ainsi de suite. Son cycle de vie chamboulait celui qu’on voulait. Ma mère, ma sœur et moi-même devions obéir à son emploi du temps. Il contrôlait les horaires, les sorties. Ce n’était pas notre maison mais SA maison. Il nous menaçait parfois avec « C’est moi qui paye le loyer vous savez ? ». Et effectivement, ça calme.

Dès mon plus jeune âge, il est devenu alcoolique et violent envers moi et ma grande sœur, parfois les deux en même temps. Il allait parfois jusqu’au point de nous séquestrer. La terreur, seul mot qui peut exprimer ces instants quotidiens. On ne l’aimait pas forcément, mais on restait un minimum poli afin que cela ne déborde pas. Malheureusement, ça éclatait toujours… Mon père était un homme physiquement assez banal : grand, plutôt rond, cheveux bruns, lunettes, un penchant raciste. L’homme bien français quoi.  Il avait un père assez malhonnête, plusieurs belles-mères et j’ai un demi-frère, Jérôme, que je ne connais pas car il est beaucoup plus âgé que moi et ma sœur. Peut-être que ce passé a servi comme point de bascule psychologique.

Je me suis construit une carapace

Ma mère a tenu tête à mon père. Un jour elle lui a crié dessus et cette engueulade a tout simplement calmé mon père. C’était la menace de ma mère et il a arrêté pendant une période ses actions sous peine de divorce. Mais elle n’est en aucun cas allée voir la justice. Je me sentais tellement mal que je suis allé voir une psychologue. Celle-ci m’a dit qu’elle ne pouvait rien pour moi. Je me suis senti triste, abandonné à mon sort. Dès cet instant je me suis renfermé sur moi-même. J’ai construit un mur autour de moi, n’en parlant à personne. Je faisais semblant d’être heureux et de rigoler, pour au final pleurer et m’apitoyer sur mon sort en rentrant chez moi, voyant mon père me crier dessus pour un rien.

Dès cette période je me suis informé sur ce que je subissais. Chaque année, près de 98 000 enfants sont maltraités. Près de la moitié des responsables sont les pères, un quart des responsables sont les mères, 9% des responsables sont les beaux-pères, et les 20% restants sont d’autres membres de la famille. Je n’ai sûrement pas eu une enfance très tendre.

Le chemin vers la libération

Mon père est mort le 29 Juin 2019 de plusieurs maladies. Vers la fin de sa vie, il était juste méconnaissable : près de 50 kg en moins. Cet événement m’a libéré, car après plus de 10 ans de souffrance, les violences ne sont plus. Cela a solidifié mon amour pour ma mère, qui a lutté pour moi et ma sœur. Mais cela m’a rendu triste, car j’ai tout de même perdu mon père à 15 ans. Dès cet instant je me suis transformé en figure paternelle un peu cachée. Quand ma sœur demande pour sortir, je demande avec qui, où, à quelle heure elle rentre, etc. Bien sûr elle me rappelle que je ne suis pas son père, ce qui est vrai, mais elle ne comprend pas que je souhaite la protéger malgré le fait qu’on s’entende mal.

Je ne me suis toujours pas libéré à ce jour, mais j’ai fait de mes souffrances une force. Cette violence subie pendant plus de 10 ans, cette autorité instituée au sein du foyer, ont tourné en ma faveur. J’ai été peu aimé, j’ai souffert, j’ai eu des idées suicidaires et ces idées persistent encore à ce jour, mais maintenant tout ça m’a permis d’être ce que je suis. Un homme sensible mais courageux qui ose parler et témoigner de ce qu’il a subi. Je me suis métamorphosé. Je suis un papillon qui s’est libéré de son filet.

Alexis, 16 ans, lycéen, Epinay-sur-Seine

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