Il était comme mon frère, c’est devenu un adversaire
On était inséparables. Théo, c’était devenu mon vrai frère dans le sport, et dans la vie aussi. J’ai commencé le basket à 12 ans, grâce à lui. J’ai lâché le foot à ce moment-là et on a tout fait ensemble. Sa famille, c’était comme ma famille. Trois ans plus tard, nouveau club, à l’autre bout du pays. Puis du jour au lendemain, je n’ai plus eu de nouvelles. Les ruptures amicales, c’est pire que tout.
Mon rêve depuis petit était de devenir un des meilleurs joueurs de football du monde. Arrivé au collège dans un petit village perdu à côté de Montpellier, dans une classe où je ne connaissais pas beaucoup de monde, je me suis fait un ami. Théo était très timide comparé à moi. Moi, j’étais plutôt l’élève perturbateur de la classe. Lui, personne ne connaissait son prénom, ni même sa voix.
En bavardant comme ça en classe, il m’a confié qu’il faisait du basket depuis deux ans et que pour lui c’était le meilleur sport du monde. Moi, avec le football dans la tête, j’imaginais vraiment le basket comme un sport de « tapette » (désolé pour le langage familier mais je pensais vraiment ça). Il m’a conseillé de venir faire un essai dans le petit club du village. Curieux, j’ai fait confiance à mon ami et j’ai d’essayé un entraînement. Le football commençait à me fatiguer. La mentalité ne me plaisait plus trop.
À ce premier entraînement, j’ai compris que c’était ici que j’allais être pour mes prochaines années, dans ce gymnase. Avec Théo. Au fur et à mesure de l’année, j’ai appris à mieux connaître ce sport mais aussi mon ami. Pratiquement tous les jours, j’étais avec lui, chez lui, dans le gymnase ou au city, à pratiquer le meilleur sport du monde, le basket-ball.
Objectif USA
Tout au long des années collège et des saisons de basket, Théo et moi étions devenus les meilleurs de l’équipe. La division où l’on jouait était trop basse pour nous. Notre rêve, depuis qu’on avait commencé le basket, c’était de partir jouer aux USA dans une High School. Pour y parvenir, il fallait vraiment être très forts et dominer à haut niveau en France. Nous, on dominait dans un niveau encore bas donc à la fin de l’année de troisième, il fallait prendre une décision pour nous deux. C’était soit faire du basket pour le loisir, abandonner nos rêves pour une vie « basique », et rester dans un club où personne ne verrait notre potentiel, soit se casser de ce trou à rat.
Un jour, Théo m’a annoncé qu’il avait signé dans une école de basket à Paris, à l’autre bout du pays. J’étais vraiment très content pour lui. D’un autre côté, j’étais aussi un peu triste car c’était comme si mon frère me quittait comme ça, pour partir vraiment loin. C’est la dernière fois que je l’ai vu… Avant de le recroiser un an plus tard.
Déterminé, quoi qu’il arrive
Le club de Montpellier était de plutôt bon niveau pour commencer à être pris au sérieux. Le niveau est de régional 2, alors qu’au club de mon village, c’était en départemental 3 : quatre niveaux d’écart. J’ai donc fait les tests pour pouvoir jouer à Montpellier. J’ai été pris dans l’équipe et tout s’est bien passé… À part une chose : plus aucune nouvelle de Théo. À cette période, je recevais plus de nouvelles par sa mère que par lui. Je lui envoyais des messages, il ne me répondait jamais. Bizarre sur le moment. Pendant deux mois, je me suis dit qu’il était sûrement occupé. Quand il est rentré chez lui en vacances, toujours pas de signe de vie.
Cela m’a vraiment touché. C’est là que j’ai compris que les déceptions amicales ou même fraternelles étaient plus douloureuses que l’amour ou quoi que ce soit. Ça ne m’a jamais empêché de construire d’autres amitiés et de faire confiance à d’autres gens. Ça m’a juste donné la rage. J’ai voulu lui prouver et me prouver à moi-même que je pouvais réussir sans lui. Je n’avais vraiment rien fait de mal et cela m’a laissé dans l’incompréhension. On s’était promis que quoi qu’il arrive, il resterait toujours mon frère. J’espère que de son côté, il taffe car du mien, il n’y a pas de répit. Je suis motivé et discipliné comme jamais.
De frère à adversaire
Cette année, je suis monté en régional 1. J’ai croisé sa mère il y a quelques jours. Ça y est : l’année prochaine, il part jouer en High School aux USA. Ça m’a réjoui, on va sûrement tous les deux remplir cet objectif. Avec ma famille, on ne savait pas trop comment faire pour que j’intègre un lycée américain, mais lors d’un tournoi cet été j’ai rencontré un coach à Las Vegas et je suis resté en contact avec lui. Il connaît du monde et communique avec plusieurs lycées américains.
Je devrais avoir la réponse en février mais personne ne le sait. Quand j’en parle, mes camarades ne me respectent pas et se moquent de moi. Je ne dis plus rien, ils sauront quand ça se fera et ça les fera taire une bonne fois pour toutes. Je me dis que c’est ce que Théo a essayé de faire. Peut-être que je me rassure juste en pensant ça, pour garder une bonne image de mon frère.
On a fini par se recroiser, en novembre. On a parlé 5 minutes, on s’est expliqué… Il était un peu froid. Il m’a dit qu’il croyait qu’on était en embrouille. Moi, je ne m’en souvenais même pas. Pour moi, il m’avait juste oublié du jour au lendemain. On a eu une conversation normale, mais contrairement à ce que l’on s’était promis ce n’était plus le Théo que je considérais comme mon frère en face de moi. Finalement, en le revoyant, je n’ai rien ressenti. J’ai appris que depuis la rentrée, il est dans un lycée à Montpellier et qu’il quitté Paris. Cette saison, on va jouer deux matchs l’un contre l’autre. Ça fait longtemps qu’on n’a pas joué sur le même terrain. Cette fois-ci, pour la première fois, ce sera mon adversaire.
Keyane, 16 ans, lycéen, Montpellier