Un jour, le regard des hommes a changé
Pour moi, j’étais toujours la grande brune qui ressemblait à une planche à pain, comme on me l’a beaucoup dit. Mais les premières réflexions sont arrivées en début de troisième. Durant le premier confinement, j’ai pris du poids —début de l’adolescence oblige. Mes formes sont arrivées et les regards ont changé… Mais ça m’a pris beaucoup de temps de l’admettre. Je m’étais faite à l’idée que j’aurais peu de formes. Ce n’était pas grave. Puis j’ai évolué. Pas que ça me dérange… mais j’aurais aimé qu’on me regarde autrement qu’au travers de mon corps. J’ai dû ouvrir les yeux sur moi et les personnes qui pouvaient m’entourer… Les paroles stupides des collégiens ont eu de vraies répercussions.
Quand mon corps a changé, on a fait plus attention à moi. Je n’ai pas changé mon comportement pour autant. J’ai toujours eu beaucoup d’amis garçons avec qui j’ai grandi. Ils étaient plutôt à l’aise pour me poser des questions indiscrètes sur les filles en général. J’ai toujours aimé leur répondre. Oui, on a des similitudes avec eux, que certaines filles n’osent pas avouer. Nous aussi, ça nous arrive de nous toucher comme eux, et on regarde certaines vidéos comme eux, et je n’étais pas gênée d’en parler. Bizarrement, les filles me faisaient ressentir comme une sorte de honte de leur dire ça, alors que les mecs n’avaient aucun tabou sur le sujet. Je voulais être comme eux.
Le pouvoir d’embrasser un garçon
Au milieu de la troisième, j’ai vu que je pouvais attirer l’attention des garçons en me mettant en valeur. J’ai regretté. J’ai essayé, un peu inconsciemment, de me venger des remarques que j’ai longtemps prises, de me dire que j’avais pas de forme et que j’étais plate. À ce moment-là, je me suis prouvé que si j’avais envie d’embrasser un garçon, j’en avais le pouvoir, car la plupart maintenant étaient intéressés par moi. Et je n’ai pas hésité à raconter mes premières expériences à mes amis garçons, car ils ne me jugeaient pas, eux.
Et il y a eu cette soirée du 18 février 2021 où ça a basculé. Avec mes potes, on fêtait les vacances, ce qui nous donnait juste une occasion de boire. Je venais d’avoir 15 ans, et j’étais en crush sur un ami de cette soirée. Malheureusement, ce soir-là, il était avec une autre fille. Je savais très bien que ça n’aurait jamais marché, du coup pour cacher un peu ma tristesse j’ai bu, un peu trop et surtout trop vite. Les effets logiques de l’alcool sont arrivés et j’étais dans un état minable. Tout le monde savait que je l’aimais bien et j’ai eu honte de me mettre dans cet état-là devant eux, devant lui. Mes amies se sont occupées de moi et je me suis endormie avant que la soirée ne commence vraiment.
Si j’avais expérimenté, j’étais forcément d’accord
Avant que tout le monde aille se coucher, je me suis réveillée pour profiter un peu de mes amis. Une ou deux heures après, on s’est tous allongés dans le salon sur plein de matelas pour aller se coucher. Un « ami » est venu se coucher sur le même lit que moi, sous prétexte qu’il n’y avait plus de place nulle part. Honnêtement, j’aurais préféré qu’on dorme. Mais ce n’était pas vraiment dans ses plans.
Je n’ai pas forcément envie de rentrer dans les détails, mais il a bien profité du fait que j’étais alcoolisée et que j’avais déjà eu des premières expériences. Il a dû croire que si j’avais déjà expérimenté cela, que j’étais forcément d’accord avec lui. Mais ce n’était vraiment pas le cas. Je ressens tellement de dégoût et surtout de colère au sujet de ce qui s’est passé, de lui, de ce qu’il m’a fait. Il ne m’a pas écoutée malgré mes nombreux refus. C’était mon ami et il s’était occupé de moi dans la soirée. Je n’ai pas dit non à l’oral, mais j’ai repoussé ses mains à chaque fois. Je me suis même mise de dos, mais rien n’y a fait. Il ne s’est pas arrêté. Avec l’alcool qui faisait encore effet, j’ai juste essayé de m’endormir et d’oublier ses mains qui pénétraient mon intimité.
Je m’en suis voulu
J’ai mis du temps à réaliser ce qui s’était passé. C’est en parlant avec ma meilleure amie de l’époque que j’ai réalisé que ce n’était pas normal et que je devais en parler aux autres. Sur le moment, je m’en suis voulu, voulu de lui avoir parlé de mes expériences qui ont pu lui faire croire que j’en avais envie, voulu de ne pas avoir vu plus tôt quelles étaient ses intentions. On a coupé les ponts depuis. Aucun de mes autres amis garçons ne s’est comporté comme ça avec moi, donc je ne me suis jamais vraiment méfiée et je trouve ça triste de devoir faire attention à tout maintenant.
Je ne mets pas tous les garçons dans le même panier pour autant. Mon rapport à eux n’a pas changé. Je n’ai pas peur d’avoir de nouvelles expériences mais il faut surtout faire attention à soi, savoir si on a envie ou non et surtout faire respecter ses envies. Aujourd’hui, je fais attention à qui faire confiance. C’est surtout une colère qui s’est développée. Je suis encore en colère contre lui, parce qu’il ne s’est pas excusé. C’est honnêtement la seule chose que je demande. En colère aussi un peu contre moi de ne pas m’être doutée de quelque chose. Aujourd’hui, j’arrive un peu mais brièvement à en parler à mes amies proches sans mettre vraiment de mot dessus. Un jour j’en parlerai à ma mère, mais comme c’était il y a longtemps, je ne sais pas vraiment comment amener le sujet.
Dès les premières remarques, vous savez que votre corps a changé
En tant que fille, on fait une sortie de l’enfance un peu brutale, je trouve. Dès les premières remarques, vous savez que votre corps a changé. Même si vous ne vous en rendiez pas compte.
Ce qui est sûr, c’est que je ne veux pas me changer à cause de ça. J’aime ce que je suis, j’aime mettre des robes et des décolletés. Ce ne sont pas des personnes mal intentionnées qui vont me faire changer de comportement ou de style. J’ai toujours une belle image de moi et j’essaye de la garder malgré les remarques. La seule personne qui compte, c’est moi-même.
En tout cas, ce qui m’est arrivé ne se reproduira plus. Je ne laisserai plus personne me faire ça. Je fais attention à moi et à mes amis en soirée. À chaque fois que je vois une amie se rapprocher d’un garçon, je lui demande discrètement si ça se passe bien, s’il fait attention à ce qu’elle veut. Car ça peut arriver à n’importe qui. Maintenant, j’observe plus. Et je resterai toujours vigilante pour moi et pour les autres.
Victoria, 16 ans, lycéenne, Montpellier