Je cours après ma vie d’artiste
Cette opportunité ne se représentera pas deux fois. C’est le printemps, je me suis inscrite à un concours de musique avec des potes quelques jours plus tôt. Voilà maintenant trois ans que je me produis sur scène et organise des concerts avec mon collectif de musicien·nes, d’auteur·es et d’interprètes. Dans deux mois, je vais devoir prouver ma détermination, mon travail et surtout mon amour pour la musique. Je dois composer de nouvelles histoires et offrir des sons qui marqueront les esprits. Il me faut donc du temps pour créer, écrire et répéter, tout en essayant de lutter pour ma survie entre le boulot, mes obligations, mes loisirs et la flemme…
Je travaille pour payer mon loyer, me nourrir, m’habiller, et vivre un minimum dignement. Depuis que j’ai fini mes années de lycée, je me retrouve toujours à sec, d’argent et d’énergie. Quand on est jeune, je veux dire un·e jeune dans cette époque, mon époque, courir après le temps, c’est quotidien. En tout cas, pour moi c’est devenu une routine, un train-train. Tant de mots que je déteste en une seule phrase.
Marathon d’une jeune en galère
J’ai 21 ans, je veux vivre de mon art, la poésie et la musique, et là, j’ai l’occasion de préparer un spectacle et de réaliser l’un de mes rêves : faire une des plus belles et grosses scènes de ma ville, accompagnée de mon équipage. Mais j’ai besoin d’argent.
Alors du lundi au samedi matin, mon réveil sonne à 8 heures. Je prends une douche, me brosse les dents, m’habille vite fait et pars de l’appartement dont je suis locataire et qui me coûte un bras. Je suis vendeuse dans une boutique de vêtements qui m’a embauchée à plus d’une heure de transport de là où j’habite. Est-ce que je l’ai choisi ? Pas vraiment, mais je ne pouvais plus vivre à droite à gauche, il me fallait mon chez moi.
Je vais chercher mon courage, comme je cours derrière le bus qui doit me déposer à l’heure au travail, sinon je devrai rendre des comptes à ma patronne. Quand je m’autorise à ne pas avoir honte ou à ne pas m’en vouloir d’être juste une jeune en galère, je cours au Secours populaire ou aux Restos du cœur dès que je débauche. À chaque loyer impayé ou à chaque amende reçue et mise de côté sans penser aux conséquences, je ne dors pas de la nuit, et cours après des solutions.
Nous sommes à moins d’un mois de la date fatidique. Me revoilà en sursis, en train de courir après chaque seconde qui passe pour avancer sur le concert qui arrive.
Le sens des priorités
J’ai finalisé l’écrit de mes textes et suis très fatiguée. J’ai hâte, j’ai peur, mais j’ai envie de faire ce concert à fond. Maintenant, on répète tous les deux jours. Le soir, quand je sors du magasin, je dois aller au studio. Mais ça me saoule : il est à l’opposé du quartier où je vis et on finit assez tard, car on se doit, pour nous et le public qui va venir nous écouter, de créer une scène harmonieuse et authentique. Sinon nous n’irons pas jusqu’en finale. Je me fiche de gagner un prix mais je veux qu’on passe ce moment tous et toutes ensemble, et qu’on soit fier·es de nous.
Trois jours avant le concours, je me fais virer de mon taf. D’après ma responsable, je ne rentre pas dans les cases et ne comprends pas le mot « priorité ». Elle me conseille d’être plus adulte à l’avenir et je lui réponds le sourire aux lèvres que je suis encore trop jeune pour ça !
Je rêve toutes les nuits d’en finir avec cette course contre le temps qui m’impacte physiquement et moralement au quotidien, comme une montre qui me lacère le poignet. Mais nous allons en finale, et je me construis l’un des plus beaux souvenirs que je pouvais espérer. Je réalise que je suis enfin arrivée à la fin du parcours. Alors je jette cette montre, sans même me retourner.
Mani, 23 ans, en recherche d’emploi, Toulouse