Fadma P. 03/03/2023

J’ai dénoncé mon agresseur, et je l’ai payé

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Harcelée sexuellement par un camarade de classe, Fadma a dénoncé son agresseur. C'est elle qui s’est retrouvée mise en cause.

J’ai vécu une double injustice. On m’a attouchée et harcelée, mais lorsque j’en ai parlé ça m’est retombé dessus. Je me souviendrai toujours du 16 janvier 2022. Ce jour-là, ce garçon de ma classe, censé être mon ami, a commencé à me toucher les bras. Au début, je n’y prêtais pas attention, après tout c’était mon ami.

Puis un jour ses mains ont commencé à devenir baladeuses. Je lui disais d’arrêter, mais du coup il me frappait. J’avais mal et je n’osais pas en parler. Je me disais que personne ne me croirait, qu’il allait s’arrêter. Mes amies ont commencé à en être témoins. Chaque jour, il faisait des remarques sur mon corps, il me touchait, me frappait et me critiquait. En anglais, il était à côté de moi. C’était encore pire. Il me touchait de partout. Je n’étais pas la seule. Il faisait la même chose à deux de mes copines. Elles, elles ont réagi très vite. Il a donc arrêté avec elles, mais a continué avec moi. Il me traumatisait de plus en plus. Le matin, j’avais peur de partir au collège.

C’était une période horrible à vivre. Je me suis renfermée sur moi-même. Je n’osais plus parler aux garçons de ma classe, hormis mes deux meilleurs amis. Ses mots me traumatisaient, et ses coups encore plus. Il me donnait des claques, des coups de poing, il me tirait les cheveux. Une fois, il m’a étranglée. Un jour, on est partis au foyer, il m’a attrapée par-derrière, et m’a murmuré à l’oreille : « Je vais te violer. »

Ceux qui me croient, ceux qui le croient

Après ces paroles, j’ai décidé d’aller voir la CPE. Comme je n’étais pas la première à me plaindre de lui, elle l’a convoqué. Cela s’est très mal passé. Je me souviendrai toujours de ce qui s’est passé dans ce bureau. Il est entré avec un air si innocent que ça me donnait l’envie de vomir. La CPE lui a expliqué, et il s’est vite énervé. Comme je suis une personne très sensible, je me suis mise à pleurer. Il a commencé à m’insulter. Ces insultes résonnent encore dans ma tête. À partir de là, la classe s’est divisée en deux clans. Ceux qui me croyaient, et ceux qui le croyaient.

Je n’en avais pas parlé à mes parents. Je vis dans une famille religieuse. Qu’ils apprennent que je m’étais fait toucher sans réagir, je trouvais cela honteux. Un jour, je me sentais mal, alors j’ai écrit à mon grand frère pour lui raconter. Il s’est mis en colère contre le garçon. Il m’a conseillé d’en parler à ma mère, ce que j’ai fait. Comme je craignais de le faire à l’oral, je lui ai tout écrit. Elle a été sous le choc, puis en a parlé à mon père. J’ai dû l’empêcher, avec mon frère, de faire une bêtise contre lui.

Puis des rumeurs ont commencé à circuler. Moi et deux autres filles, nous l’aurions menacé de mort, lui et sa mère. J’étais en cours d’histoire, une matière qui me fascine, quand une surveillante est venue me chercher. Devant le bureau de la CPE, il y avait un de mes amis, assis avec un regard désolé. La CPE m’a accusée d’avoir menacé le garçon, un surveillant m’aurait même entendue. Elle a dit qu’elle devrait signaler cette affaire, mais qu’elle n’allait pas le faire par « gentillesse » ! Moi, je pleurais, en disant que je n’avais rien fait. Le soir même, sur Snap, mon ami m’a expliqué qu’il était allé voir les deux autres filles. Comme elles avaient nié les menaces, tout le monde en a déduit que c’était moi. Je pleurais derrière mon écran. Je me sentais trahie par tout le monde.

Accusée et convoquée

Tout le week-end, j’ai pleuré sur mon tapis de prière. Le lundi suivant, j’ai été à nouveau convoquée, parce qu’apparemment, j’aurais insulté la CPE. C’est la copine de ce garçon, mon agresseur, qui lui a rapporté cela. Mais la CPE l’a crue. Elle a appelé mes parents pour leur expliquer. J’avais peur de rentrer chez moi.

Ma mère est venue me chercher et à son visage je savais que j’allais passer une mauvaise soirée. Je n’oublierai jamais leur colère. Ils ne voulaient pas me croire. Alors que je n’avais rien dit ! Le lendemain, je ne suis pas allée en cours. Ma mère m’a interrogée toute la journée, je lui ai juré. Puis je me suis souvenue que j’avais des témoins du moment évoqué par cette fille. Ma mère leur a demandé de lui dire la vérité, après ça elle m’a cru. Avec mon père, ils sont allés voir la CPE et le principal pour s’expliquer. Mon père m’a dit qu’ils me changeraient de classe. Mais ce qui s’est dit dans le bureau est resté confidentiel.

J’ai peur des hommes

L’année s’est terminée plus facilement pour lui que pour moi, évidemment. Il était considéré comme une victime. Alors que la victime, c’était moi ! Mais pour la CPE, il avait simplement des problèmes mentaux. Le plus triste, c’est que les témoins des agissements de ce garçon n’ont rien pu faire. Ils s’en veulent tous. Après cette histoire, je me suis sentie très triste. J’en ai fait des cauchemars chaque nuit. J’ai perdu l’appétit. Je me faisais vomir. J’avais des problèmes pour respirer. Je me répétais tout ce qu’il avait dit de méchant sur mon physique et je me disais que si je lui donnais raison, peut-être que plus aucun garçon ne m’approcherait. Je ne pouvais plus faire confiance aux hommes et je ne laissais même plus mes propres cousins et oncles approcher, tellement j’avais peur.

Aujourd’hui, j’ai toujours peur des hommes. J’ai été suivie par une psy. Elle m’a crue, et elle m’a beaucoup aidée. Je n’ai jamais voulu porter plainte. Mes parents non plus, pour rester discrets. Je sais qu’une autre de ses victimes l’a fait. Une enquête est en cours.

Malgré cela, une injustice comme ça, ça ne s’oublie pas. C’est une douleur qui restera. J’ai appris à vivre avec au quotidien. J’ai beau sourire, rigoler, je suis toujours autant traumatisée par ce qui est arrivé. Si je suis honnête, je n’ai même pas envie d’aller mieux. Le seul truc qui m’aiderait, c’est qu’il me fasse de VRAIES excuses.

Mon agresseur toujours dans ma classe

Je garde une colère profonde. Une colère contre ces gens que j’ai croisés. J’ai juste envie de leur crier qu’ils aillent se faire foutre ! Qui sont-ils pour ne pas croire une enfant de 13 ans qui demandait juste de l’aide ? Et en plus, sur laquelle on rejette toute la faute ! J’aurai toujours cette colère, car ils ont pourri ma vie, ils ont ruiné une relation père/fille qui démarrait à peine, une relation petite sœur/grand frère qui s’est éteinte avec cette histoire. Ils ont ruiné mon dossier scolaire. À cause d’eux, j’ai une énorme pression.

J’ai évidemment la haine envers lui. Une haine qui ne partira jamais. Je voudrais juste qu’il apprenne de ses erreurs, pour ne plus recommencer. Il mériterait une punition, au moins ! Ce qui me ronge, c’est qu’ils l’ont remis dans ma classe en troisième, contrairement à ce qu’ils avaient promis à mes parents. Maintenant, le voir agir si « normalement » avec moi, me traiter comme sa copine, puis balancer des rumeurs sur moi à la classe… Mais quel clochard !

Pour moi, personne ne mérite de vivre cela. C’est horrible, c’est dégoûtant. Mon agresseur et moi, nous serons dans le même lycée plus tard. Je ne veux pas être dans sa classe ni même entendre parler de lui. Je compte faire une lettre au lycée pour le demander. J’ai pensé à quitter Brive après cette histoire. Mais je pense plutôt attendre mes études. J’ai envie de devenir psychologue. Le milieu pénitentiaire, cela me passionnerait. Je me verrais bien étudier à Paris, vivre là-bas. Comme un nouveau départ.

Fadma, 14 ans, collégienne, Brive-la-Gaillarde

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