Soukaina A. 11/01/2021

Depuis mon agression, je vis dans le noir

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Arrivée en France, Soukaina pensait que sa vie allait être meilleure qu’au Maroc. Mais depuis qu’elle s’est faite agresser dans la rue, elle n’ose plus sortir de chez elle. 

Je suis une fille de 18 ans, marocaine. Je suis arrivée en France l’année dernière, sans famille. Je suis arrivée sans papiers, dans un camion. C’est moi qui ai décidé de partir, j’avais des problèmes de famille.

Mes parents se sont séparés quand j’avais 10 ans, je suis restée vivre avec ma grand-mère et mon frère, puis à partir de 13 ans, seulement avec mon frère, à Meknès. J’ai été à l’école jusqu’à 14-15 ans. Je n’avais pas de famille, alors pourquoi rester ? Je n’ai prévenu personne. À Tanger, il y avait un quartier spécialement pour ça, pour les gens qui veulent partir. Tout le monde le connaît, tout le monde parle de ça. Je suis restée une semaine et après ils ont trouvé de la place pour aller dans un camion. J’ai donné toutes mes économies.

Toulouse, Auch, Libourne

En arrivant à Toulouse, j’étais dans une association pour mineurs. Au début, tout était facile pour moi, au contraire de ce que j’avais vécu au Maroc, mais ma vie n’était pas stable. Le foyer, c’est en attendant de savoir si on est mineur ou non. Dix jours après mon arrivée en France, le juge m’a acceptée comme mineure. Mais à cause du confinement, je suis restée au foyer. Il n’y avait plus de place dans le foyer d’urgence à Toulouse, donc on m’a envoyée à Auch. C’était le meilleur ! Puis, on m’a envoyée à Libourne, dans une association.

Le 18 août 2020, j’ai emménagé à Libourne, une petite ville à côté de Bordeaux. Le regard des gens sur moi, m’a fait me sentir comme si j’étais étrange, comme si je venais d’une autre planète. C’était la première fois que je ressentais ça. À Toulouse, je n’avais pas ce problème. Peut-être parce qu’à Toulouse, on était en groupe alors que là j’étais toute seule. Mais je n’ai pas ressenti  quelque chose d’aussi étrange.

J’ai senti la chair de poule dans mon corps

L’association m’a installée toute seule dans un appartement. Au rez-de-chaussée, il y a la cuisine et la douche, et à l’étage la chambre. Comme je venais d’arriver, j’avais envie de sortir me promener et d’en savoir plus sur cette ville, mon appartement est au centre-ville. Dans le centre, il y a un grand parc. J’ai été m’y promener. Un homme m’a parlé, il avait l’air d’avoir 30 ans. Il voulait me vendre de la drogue, j’ai refusé mais il a commencé à m’insulter comme un fou : « T’es une grosse pute », plein de choses dans ce genre-là. Je pense qu’il était bourré. J’avais trop peur. Je suis partie et ne suis jamais retournée là-bas.

Un autre jour, je suis sortie pour acheter les courses et j’ai croisé le même homme. Il était 16 heures environ. Il n’était pas bourré cette fois. J’ai senti la chair de poule dans mon corps, il a commencé à se déplacer vers moi, j’étais seule et il n’y avait personne à côté, il a pris un couteau de sa poche et a commencé à me menacer.

C’était un peu plus loin que le centre-ville. Là où il y a des maisons où les gens rentrent le soir juste pour dormir, la journée il n’y a personne. Il a commencé à m’insulter et a essayé de me déshabiller, j’ai crié mais il n’y avait personne. J’ai réussi à lui échapper, je l’ai poussé et j’ai couru vers ma maison, il m’a suivie, je l’ai senti mais je ne l’ai pas vu. Je l’ai dit à mon éducateur qui m’a dit d’appeler la police si je le revoyais.

Il y a des nuits où je pense à lui. Parfois pendant la nuit ça tape fort à la porte. À 3 heures du matin. Je pense que c’est lui. Je vis dans le noir. Je ferme tous les volets. Je ne sors plus. J’ai trop peur.

Mon rêve, c’était de voir plein de gens de pays différents

Les courses, je les fais le mercredi avec mon éducateur. Il me dit qu’il ne faut pas avoir peur, qu’il faut du courage, que je ne peux pas avoir peur toute ma vie, qu’il y a la loi, qu’il y a tout, mais moi, mon corps a peur. Je n’ai personne là-bas, pas d’amis qui pourraient sortir avec moi. Juste mon éducateur.

Il m’a proposé de parler avec un psychologue, mais j’ai refusé, parce que ça ne va rien faire. Je le sais parce qu’au Maroc, en 2013, juste après la séparation de mes parents, j’ai déjà été voir un psy. Ma grand-mère me disait que mes parents m’avaient laissée. Mes oncles me disaient que j’étais une fille de la rue. Je n’allais pas bien. J’ai été chez un psy et il m’a seulement donné des médicaments. Je grossissais, je dormais tout le temps, je mangeais trop, ça ne faisait rien.

Quand je me suis retrouvée juste avec mon frère, ça a été un peu mieux. Mais à 16 ans, j’ai été dans une autre dépression, qui n’a pas duré trop longtemps, trois mois. Le docteur m’a conseillé de changer de ville. Je suis allée à Oujda avec mon frère, j’ai fait de la coiffure, j’allais à l’école, je travaillais, pour mettre de l’argent de côté pour partir et aussi j’ai trouvé des amis, je suis sortie de la dépression. Mais ce n’était pas la vie que j’avais imaginée. Mon rêve depuis petite c’est d’être réceptionniste, de parler plusieurs langues, de voir plein de gens de différents pays. Donc je suis partie.

Aujourd’hui, je ne sors que pour aller à l’école. Je mets 1 h 30 environ. 51 minutes de train. 20 minutes de ma maison à la gare. Et le reste pour aller de la gare à l’école. Tous les jours j’ai la boule au ventre. Je prends une autre route, juste pour ne pas passer dans le quartier où je l’ai croisé. Pour trouver un stage j’ai des difficultés. J’ai trop peur de sortir de chez moi pour en chercher. Quand j’écoute de la musique ou que je regarde des films, je réussis sur le moment à ne plus y penser. Je vis dans mes rêves. Je parle toute seule. Ce n’est pas la réalité mais ça va. Je voudrais déménager de là, aller loin !

 

Soukaina, 18 ans, lycéenne, Libourne

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