En pro, je suis devenu l’acteur principal de ma vie
Toute la classe écoutait attentivement la prof faire son monologue. Moi, j’étais assis seul sur la rangée de chaises froides au fond de la salle, avec ma timidité handicapante et mon style incompris.
Tout d’un coup, les projecteurs se sont rivés sur moi. Tous les regards moqueurs des spectateurs se sont posés sur moi. La prof m’avait posé une question simple et attendait une réponse concrète. Moi, je n’avais rien d’autre en tête que mes pensées. J’étais paralysé et je n’ai pas eu le courage de répondre.
« … »
Elle m’a alors lancé : « Tu es muet ? » Puis a enchaîné : « Lors de mes cours, tu ne parles avec aucun de tes camarades, alors comment peux-tu ne pas avoir la réponse à cette question pourtant évidente ? » ; « C’est un niveau bien bas que tu as, tu t’enfonces à ne pas répondre » ; « Je ne perdrai plus de temps avec toi » ; « Tu n’y arriveras pas plus tard. » Jusqu’à la fin de l’année, elle m’a rabaissé. Elle m’a même dit que le niveau bac pro serait compliqué pour un acteur aussi mauvais que moi.
Mais il était temps de valider mes vœux, et d’enfin partir de cet établissement. Soit j’allais en STD2A (sciences et technologies du design et des arts appliqués), soit en bac pro mode. Ennuyé et dégoûté par le système d’apprentissage compétitif du collège, je me suis dirigé avec frayeur vers une voie professionnelle. Dans le domaine qui me faisait rêver depuis la cinquième : la mode. Sous le regard jugeur de ma classe et de certains de mes profs, j’ai enfin quitté cette pièce tragique.
Enfin dans mon élément
Pendant l’été, je me suis sans cesse questionné sur le prologue de mon année : « Allez ! Ça va bien se passer » ; « Ils me comprendront » ; « Être dans une autre ville, c’est pas si mal ? » ; « Je vais pouvoir faire ce qui me plaît ! »
Le jour de la rentrée est arrivé, j’étais à la fois stressé et impatient de rencontrer des personnes créatives. Le bac pro mode, c’était comme une nouvelle scène de tournage. La pièce où nous restons la majorité du temps à confectionner et discuter est une salle de couture. Les murs sont usés avec une tapisserie jaune pastel, trois posters déchirés de la maison de couture Dior sont accrochés sur une partie du mur. Derrière les rideaux rouges, à chaque extrémité, se trouvent les machines à coudre professionnelles pour mettre en valeur les figurants.
Pour la première fois, j’ai senti que j’allais être l’acteur principal du film de ma vie, éclairé par des lumières colorées. J’ai rencontré des personnes à l’aise et sans gêne. Au fur et à mesure, en étant à leurs côtés, j’ai commencé à prendre la parole comme eux en cours. Ils m’ont aidé sans le savoir à devenir plus sociable ! J’ai pu oser porter des vêtements qui me représentaient et ainsi affirmer mon style en faisant de moins en moins attention au regard des autres.
Malgré ça, je ne peux pas oublier ma nature, je reste timide dans beaucoup de situations. Mais sans cette filière et ces personnes, je n’aurais jamais exprimé qui je suis réellement et je n’aurais sûrement pas été sélectionné pour de grands projets de la mode grâce à ma personnalité et mon style coloré. Être le metteur en scène de sa propre vie est nécessaire. On rate beaucoup trop d’opportunités en se cachant derrière le rideau rouge, alors que chacun a de quoi éblouir le public et être sous les projecteurs.
Esteban, 16 ans, lycéen, Narbonne