Mohamed M. 21/07/2023

Exclu si tu portes pas de la marque

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Vêtements de marques, iPhones, belles voitures… Mohamed n’avait rien de tout ça. Dans son collège privé, il se sentait différent et rejeté.

À l’école et au collège, j’étais dans le privé. Ma mère s’était dit que mettre son fils dans un privé était une bonne idée car il serait avec de bonnes fréquentations. Je ne sais pas trop pourquoi elle pense ça, peut-être parce que je suis un garçon. Mes sœurs sont allées dans le public. Je ne sais pas combien ça coûtait, mais mes parents me rappelaient qu’ils payaient cher l’école privée quand je faisais des bêtises.

Les gens avaient plus d’argent qu’à l’école publique. Leurs vêtements de marques, leurs voitures à la sortie de l’école étaient très classe, très chers. Les dernières paires de basket Nike, Jordan, Adidas et des voitures comme des belles Mercedes, Audi.

Nous nous faisions rejeter. On te dit des remarques du genre : « T’es pauvre » ; « Tu t’habilles mal. » Comme t’es pas habillé comme eux, on t’ignore et on te méprise. Ils traînaient entre eux du genre on parle, on discute, mais pas avec vous. Ils ne te disent pas qu’ils ne veulent pas traîner avec toi mais ils te le font savoir : ils s’arrêtent de parler quand tu passes près d’eux, des trucs comme ça.

Quatre ou cinq « normaux »

Avec mes amis qui n’étaient pas riches, la plupart du temps on trainait ensemble. Mais on était un petit groupe comparé aux autres, donc on se sentait un peu exclus. Au début, on était quatre ou cinq à ne pas être aussi aisés qu’eux, puis au fur et à mesure il y en a un peu plus qui sont venus. Mais ça restait peu, comparé à la majorité des élèves qui étaient très riches.

Ils avaient des téléphones portables très tôt, dès la sixième, voire en primaire. C’était toujours le dernier modèle (je crois que c’était l’iPhone 6 à l’époque). Moi, j’ai eu mon téléphone en cinquième ou quatrième, je ne sais plus trop. J’avais un Alcatel. Le téléphone pliable, bien ridicule que je n’osais pas montrer. Une fois, je l’ai sorti et quelqu’un s’était mis à rigoler. J’ai rigolé avec lui. Un rire jaune, pour ne pas montrer que j’étais touché.

Riches comme dans les films clichés

En général, quand ça rigolait ouvertement de nos écarts de classes sociales, je ne calculais pas trop et je faisais comme si ça ne me faisait rien. Mais au fond, j’avais la haine de ne pas avoir de téléphone comme eux, ni les mêmes vêtements. Je voulais vivre la même vie qu’eux, posséder la même chose qu’eux. Des fois, j’avais envie d’ouvrir ma gueule mais je n’osais pas, je partais juste dans mon coin. Je voulais les insulter mais ils étaient plus nombreux.

À un moment, je suis entré dans la maison de l’un d’eux, je ne sais plus pourquoi (nos mères se connaissaient ou un truc comme ça). C’était une grande maison. Je ne sais plus où elle se situait, par contre je me souviens qu’à l’intérieur c’était très grand et blanc, tout propre et rangé, avec de grandes baies vitrées exactement comme dans les films clichés. À l’extérieur, il y avait un grand portail avec un grand jardin tout lisse et une piscine. Ils avaient plein de trucs : une grande télé de la taille d’un tableau de classe, avec plein de films qu’ils pouvaient choisir.

Ils habitaient dans des quartiers tranquilles, contrairement à moi et à mes amis. Nous n’étions pas très riches donc nous avions tout l’inverse. Bâtiment, pas de vêtements de marque, etc. Pour moi, le bâtiment puis la maison où j’habitais étaient juste normaux. Je voyais ça comme ça, mais peut-être qu’eux non. Ma mère était mère au foyer et mon père employé de banque à l’époque, pas le genre de métier que les parents du collège faisaient, même si je ne sais pas exactement ce qu’ils faisaient. Là où je vivais, il y avait toujours du bruit de voitures et des gens dans la rue. Chez eux, c’était calme et il n’y avait personne.

J’étais l’intrus

À l’époque, je me rappelle même que je voulais changer de prénom pour ne plus m’appeler Mohamed. Je voulais prendre mon deuxième prénom pour paraître plus normal. Eux s’appelaient Julien, Antoine, Pierre, des trucs comme ça. Ils ne m’ont jamais tenu de propos racistes, mais je me suis senti différent de moi-même. J’étais l’intru.

Il y a un événement qui m’avait marqué. En quatrième, mon ami avait des vêtements de fausse marque et donc se faisait moquer par les élèves pratiquement tous les jours. Il m’a raconté des années plus tard qu’il avait carrément une phobie de l’école et qu’il essayait même de trouver des prétextes pour la manquer. Aujourd’hui, il va mieux car il a changé d’école par la suite. Avec ces amis de cette époque, on en reparle et on est d’accord que c’était relou.

Ce n’était pas trop de leur faute. Ils étaient petits, c’était la mentalité des collégiens d’être moqueurs. Mais j’avais des potes au collège public et je voyais bien que c’était différent là-bas, que les gens n’étaient pas aussi moqueurs.

Depuis ma première seconde j’essaie de faire des efforts pour m’habiller. Avant je m’en foutais des vêtements, je m’intéressais aux jeux vidéo et c’est tout. L’année dernière, ils ont arrêté de rigoler et sont devenus plus sympas. Aujourd’hui j’ai changé de lycée parce que je n’avais pas le niveau là-bas. Au lycée public aujourd’hui, c’est du passé et les élèves ne sont plus comme ça.

Mohamed, 16 ans, lycéen, Chelles

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