J’ai fini au tribunal pour avoir participé à un mouvement lycéen
Il faisait plutôt frais ce jour-là. Une mi-novembre de réchauffement climatique dirons-nous. Avec maman, nous grimpons les marches en pierre du tribunal. Nous avons rendez-vous à 16 h 30. Vérification des sacs, détecteurs de métaux, vigiles d’un bon mètre quatre-vingt dix. Grand sourire masqué, on entre.
Des visages familiers nous accueillent au premier étage, mes compagnons de lutte et ami.es de lycée ! Nous remarquons chacun·e la laideur de l’intérieur du bâtiment, froid, exigüe, austère. On échange quelques mots, des banalités, des inquiétudes. Certain·es ont pris le chemin de la fac, d’autres sont encore au lycée ou dans l’attente d’emplois. Les revoir dans ces conditions, après des mois, me semble bien étrange. Une camarade sort de la salle où nous passerons tou·te·s : mise en examen pour rassemblement en vue de dégradation d’un établissement scolaire et violences sur autrui, retour au tribunal dans un an. Tou.tes reçoivent un·e à un·e le même jugement. L’avocate est atterrée.
Nous sommes appelées, maman et moi. Nous entrons dans le bureau de la juge. Je m’assoie entre maman d’une part, Maître Sanzari de l’autre. Commence la lecture de la déposition du directeur contre moi, la même que j’avais entendue au commissariat, près d’un an auparavant, en janvier 2020. Il paraît que j’étais dans le lycée à 8 h 30, qu’on m’aurait bien vue. Il paraît même qu’on m’aurait vue dans le groupe des lanceurs de fumigènes, dans le couloir de l’étage. Puis, j’aurais prévu des violences sur autrui et tout un tas d’autres conneries.
« Reconnaissez-vous les faits qui vous sont reprochés ? » Pourquoi les reconnaître putain ! « Non, absolument pas. » À partir de là, simple : répondre aux questions. Tu faisais quoi, t’étais où ?
Ancienne lycéenne, 18 piges passées, tu te retrouves devant une juge pour des diffamations du dirlo. Au lycée, ce jour-là, j’y étais à 9 heures. Le premier étage, je n’en ai pas vu la couleur. J’étais restée à l’extérieur à discuter avec une amie, manifestante aussi. Ma curiosité m’avait juste fait entrer à l’intérieur, dix minutes, pour voir un peu ce qu’il se passait. J’étais sortie après illico.
Nous sortons soulagées du tribunal. Sans suite.
Une pancarte… et des camions de gendarmes débarquent
Pourquoi nous sept, sur les centaines d’élèves qui manifestaient ce jour-là ? Bizarrement, les manifestant·es récurrent·es, le groupe engagé. Cet engagement, nous l’avons mené durant trois années : tracts, manifestations profs/élèves, pancartes. Un engagement autour d’un cri commun : contre les E3C, contre le bac Blanquer, pour la liberté, l’écoute et l’égalité des chances.
Pour moi, cela avait débuté lors de mon année de seconde, j’étais alors scolarisée dans un autre lycée proche. J’avais tout de même participé au tout premier rassemblement de contestation du projet de loi, en mars 2018, au lycée. Ce jour-là, nous étions dix. Ce mouvement ne me concernait pas directement, mais ayant des frères et sœurs plus jeunes que moi, je me devais de lutter pour eux et leur avenir.
La répression, le directeur en avait usé. Bien entendu, la première année, le mouvement était encore léger, nous n’étions qu’une poignée de manifestant·es. Mais l’année suivante, alors que j’intégrais ce lycée, le petit noyau manifestant prit de l’ampleur, allant jusqu’à plusieurs centaines de personnes. La situation s’est envenimée. Une pancarte, et des camions de gendarmes débarquaient, puis CRS, lacrymos et flashballs. C’était même parfois une vingtaine de camions de forces de l’ordre qui se posaient aux alentours de l’établissement, encapuchonné·es et armé·es aux dents. Iels étaient là pour nous, des jeunes de 15 à 18 ans qui clamaient haut et fort : « J’ai le bac, je choisis ma fac. » « Nous voulons en finir avec la sélection et les inégalités des chances. »
Pendant cette seconde année, on avait tenté les AG (assemblées générales), et réussi à en mettre quelques-unes en place. Mais le directeur avait peur de la masse qui commençait à se créer face à lui, du mouvement qui se soulevait un peu plus chaque jour, tant du côté profs que du côté élèves. Un vrai mur s’était créé entre l’administration et nous. Elles furent impossibles par la suite. On nous interdisait jusqu’aux salles communes, car trop de monde, trop de cris, trop d’élèves séchant les cours pour nous rejoindre. Aucun dialogue n’était réellement possible sur le sujet. Pour discuter, nous nous retrouvions presque de manière clandestine, au Ninkasi d’à côté. Nous savions qu’on nous avait à l’œil.
Notre passage devant le juge fut l’exemple à ne pas suivre
Cet engagement nous a permis de lever un peu plus le voile sur les méthodes répressives de l’État. Il nous a démontré que lutter pour un droit, une cause, une liberté dérangeait. On réprimait nos luttes, on les étouffait, pour les réduire au silence. Notre passage au commissariat, puis devant le juge, fut notre leçon, l’exemple à ne pas suivre.
Aujourd’hui, si le mouvement dans l’enceinte de mon ancien lycée a été perturbé par l’arrivée du Covid, certains de mes anciens camarades et amis tentent toujours de lutter et s’y engagent encore activement. Car, que ce soit dans les manifestations, dans nos associations respectives, ou dans les discours que mes camarades et moi avons, nous continuerons de clamer notre soif de justice et d’égalité.
Olivia, 18 ans, volontaire en service civique, Vienne (38)