Mon grand frère, harcelé sous mes yeux
L’école où j’étais avec mon grand frère regroupait tous les niveaux de la maternelle jusqu’au primaire. J’allais avec lui tous les matins, il m’accompagnait. J’étais en moyenne section, lui était en CM2. Arrivés à l’école, on se séparait pour aller rejoindre nos « amis », et j’insiste sur les guillemets… Réellement, mon frère n’avait qu’un seul vrai ami et les autres étaient plus là pour se foutre de lui.
C’était à l’école maternelle de ma commune de 900 habitants. On se connaît tous ici. Je voyais mon frère se faire bousculer sans arrêt. Il mangeait souvent tout seul à la cantine. Cela arrivait presque tous les jours, comme une routine. Je ne pouvais pas trop en parler à mes parents car je ne savais pas si mon frère voulait bien que je leur en parle. Peut-être étaient-ils déjà au courant ? Je ne savais pas.
J’étais « le petit frère de Kevin »
Pendant les récrés, je le voyais de loin. Les petites et moyennes sections avaient une cour pour eux, séparée de celle des plus grands. J’arrivais parfois à aller dans la cour des grands pour aller le voir et passer du temps avec lui. Mais je le voyais se faire taper. Alors, j’essayais de le défendre en m’interposant entre lui et ses harceleurs. Je leur demandais d’arrêter et de le laisser tranquille.
Avec ma petite taille et ma voix perçante, j’avais l’impression d’empirer la chose. Ils en rajoutaient une couche en insistant sur le fait que c’était moi, son petit frère, qui le défendait, et qu’il n’était même pas capable de le faire lui-même. Alors, j’étais partagé entre soit essayer de le défendre et après lui foutre la honte, soit les laisser faire et le voir subir toutes ces violences.
La réputation que mon frère était un « cassos » ou un « mytho » m’a suivi tout au long du primaire. Les personnes de mon école savaient qui j’étais et surtout qui était mon frère. Alors, ils me disaient : « N’allez pas avec lui c’est le frère de Kevin », et d’autres paroles insensées. Je n’ai pas forcément subi de harcèlement, en tout cas je ne l’ai pas vécu comme tel. J’ai peut-être été parfois mis de côté, mais c’était l’histoire d’un instant. Par exemple, certains ne voulaient pas être copains avec moi car les aînés leur disaient sûrement qui j’étais…
Au collège, j’avais super peur de vivre la même chose. J’avais peur que les gens me « reconnaissent » et me disent comme en primaire : « Ah c’est toi le frère de Kevin. » Mais, avec du recul, c’était vraiment complètement absurde de penser ça.
Impuissants face au silence
Pour lui, plus tard, au collège, le problème ne s’est pas vraiment réglé. Au contraire. Mes parents ne savaient pas trop ce qu’il se passait au bahut. Alors je vous laisse imaginer que moi, je n’en savais trop rien. Je ne l’ai jamais croisé là-bas car, lorsque je suis rentré en sixième, il est parti en seconde.
Cependant, je l’ai déjà vu rentrer chez moi alors qu’il s’était uriné dessus, sûrement dû aux problèmes au collège… Plus tard, j’ai même appris qu’on lui avait craché dessus plusieurs fois, qu’on avait vidé son sac par terre, qu’on l’avait traîné par terre. Je l’ai appris grâce à mes parents. Ils attendaient sûrement que je sois assez mature pour me le dire.
Néanmoins, j’ai moins été touché par cette période car je n’étais pas témoin de toutes ces scènes. On n’en parlait pas trop entre nous. Je ne sais même pas s’il savait que je savais. Cela nous a un peu éloignés. Je le trouvais plus solitaire, moins proche de moi. Mais je remarquais surtout qu’il parlait beaucoup moins.
Son harcèlement s’est terminé lorsqu’il est sorti du lycée et qu’il est entré en études supérieures, peut-être grâce à la maturité… Cette période est encore aujourd’hui assez tabou entre lui et moi, et entre lui et ma famille. On essaie d’éviter le sujet. Cela fait vraiment très mal de voir son modèle, lorsqu’on est enfant, se faire taper, insulter, cracher dessus. Surtout quand ces mêmes choses se répercutent sur vous…
Benjamin, 16 ans, lycéen, Rennes