Thaventhini K. 29/09/2023

Je m’en suis voulue d’être une immigrée

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À l’école, Thaventhini a été mise à l’écart et harcelée. Parce qu’elle est srilankaise et bonne élève. À l’aube de ses études supérieures, elle compte sur son ascension sociale pour faire mentir les clichés.

Je suis arrivée en France à 6 ans. Au Sri Lanka, mon pays d’origine, nous nous sentions en danger, notamment suite à la guerre civile entre les Tamouls et les Cingalais. Mon père a quitté le pays avant nous et on l’a rejoint.

Au Sri Lanka, j’ai sauté une classe et j’étais une bonne élève (ça n’a pas changé, je suis une big brain). Arrivée en France, je ne comprenais rien. J’étais juste contente de voir mon père que je n’avais pas vu depuis des années. Je ne connaissais pas un seul mot de français… Même le mot « bonjour », je ne le connaissais pas. On m’a placée dans une école et, pendant un an, j’ai appris le français.

L’adaptation à ce nouveau système scolaire a été difficile, mais le plus difficile c’était la pression que ma mère m’infligeait. Comment peut-on demander la réussite scolaire à un enfant qui ne maîtrise pas encore bien la langue ? Et encore, je m’estime heureuse de ne pas être l’aînée ! Je suis triste pour ma grande sœur. Elle était (elle l’est toujours d’ailleurs) à la tête des affaires administratives de la famille. Elle a grandi trop tôt.

Traîner avec toutes les origines

Au fur et à mesure, je suis presque devenue la meilleure de la classe. Alors que je commençais à me construire une vie, avec de nouveaux amis, des repères, tout s’est effondré. J’ai déménagé à Chanteloup où la diversité existe et n’existe pas à la fois. Je me sentais seule et triste. Je voulais retourner dans la vie que je commençais à aimer à Bagnolet.

Avant, à Bagnolet, il y avait quand même une certaine diversité. Il y avait des Français et des Chinois majoritairement, et une petite minorité de la communauté africaine. Il n’y avait pas trop de Srilankais et, quand il y en avait, on ne se parlait pas trop. Quelque part, mon origine fait toujours partie de moi, mais je ne me sens pas à l’aise en parlant avec quelqu’un de la même origine. Je peux tenir une discussion et me lier d’amitié, mais seulement temporairement. Je préfère juste traîner avec des personnes d’origines différentes, c’est une habitude depuis que je suis en France.

Bien que je sois une personne réservée, je n’hésitais pas à participer dans cette nouvelle école. J’ai très vite arrêté quand mes camarades ont commencé à me harceler par rapport à mon origine. « Pakpak » ; « l’Indienne » ; « Tu connais La Famille indienne ? », accompagnés de « danses indiennes » (#boulychudian = Bole Chudiyan). Toutes ces remarques étaient devenues mon quotidien.

Les SES, c’est devenue ma matière

Je me suis fait une amie qui était là pour moi. Seulement, je me sentais coupable d’une chose : elle était aussi harcelée, juste parce qu’elle traînait avec moi « l’intello ». Quand je rentrais chez moi, je m’imaginais répondre mais ma sœur me disait de ne pas y prêter attention, que c’était la meilleure façon de les énerver. Je préférais garder mon statut de bonne élève, et attendre d’aller au lycée où la majorité des personnes ne me connaissaient pas.

Maintenant au lycée, c’est une autre forme d’adaptation : il y a des personnes meilleures que moi académiquement et j’ai eu du mal à l’accepter. Ma fierté en a pris un coup. Mais bon, après les nombreuses heures de cours de SES, j’ai juste appris qu’on ne possédait pas les mêmes capitaux culturels, selon Bourdieu (le sociologue, en même temps on ne parle que de lui en SES). Je m’en suis voulue d’être une immigrée mais, en réalité, j’ai un avantage que les autres n’ont pas : ma culture.

SES c’est la matière, ma matière, qui montre explicitement les inégalités dans la société. Elle me permet de placer des mots sur des choses que je savais déjà : qu’en étant une enfant immigrée de père indépendant et de mère employée, je ne possède pas les mêmes ressources que mes camarades. Toutefois, cela reste une force pour moi puisque je sais que je vais réussir et que je vais montrer le contraire. Certes, la reproduction sociale existe, mais la mobilité sociale existe aussi.

Faire un bac +5, une évidence

Dans ma famille les études sont importantes : si on ne fait pas de grandes études, on est considéré comme « la honte de la famille ». Je viens d’une bonne famille au Sri Lanka (pour vous donner une petite idée : on est comme les petits bourgeois, mais je ne me considère pas comme tel – le système de castes a été interdit depuis longtemps même si elles existent toujours en vrai). D’où l’importance des études. La plupart des personnes dans ma famille sont professeurs, ingénieurs, médecins, comptables ou sont dans le commerce.

Pour moi, aller en général au lycée et faire un bac +5 ou plus a toujours été évident. Plus tard, je veux travailler dans le commerce ou dans la gestion, voire dans l’enseignement à l’étranger. Peut-être pour quitter mon lieu de résidence actuel ou juste pour partir vers de nouvelles expériences, car je n’aime pas la routine. J’ai tout accepté pendant des années sans rien dire en pensant que tout était normal mais je n’ai pas à m’adapter aux gens et à la société. C’est à eux de s’adapter à moi (#déviance).

Je ne vois pas pourquoi je devrais changer. Je ne vais pas changer mes habitudes, ma façon d’être, devenir une « mauvaise élève » ou changer mon caractère juste pour plaire aux gens. Si je deviens ce que les gens aimeraient que je sois, je vais gâcher mon avenir.

Thaventhini, 19 ans, lycéenne, Cergy

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