Mise à la porte à 18 ans
18 ans, c’est l’âge que j’avais quand je me suis retrouvée dehors. C’était en pleine période de clôture de Parcoursup, l’année du bac. Ma meilleure amie de l’époque m’a accueillie en urgence chez elle, ses parents ont très vite pris à cœur ma situation. D’arriver dans une famille complètement différente de la mienne, ça a été le choc : comment j’avais fait pour tenir toutes ces années dans la mienne ? Mise à l’abri et en confiance dans une famille que je connaissais depuis des années, c’était la délivrance.
Comment en suis-je arrivée à être mise dehors à 18 ans, sans rien, mis à part un sac préparé à la hâte ? Une famille qui dysfonctionne. Tout le monde, ou presque, est atteint de gros troubles mentaux. Voilà le bilan que j’ai pu faire avec quelques années de recul. Une famille abusive, pas de figure parentale. Bref, le début d’un grand chaos.
Vivre à la rue
J’ai dormi chez ma meilleure amie, puis chez des amis, dans des squats, des parcs… J’ai aussi rencontré différentes drogues : MDMA, cocaïne, ecstasy, cannabis. Une rencontre plutôt classique dans un parcours de rue finalement.
Me voilà changée. Je n’avais plus aucune notion de ce qui était bien ou mal. Mes journées étaient dictées par mes addictions. Je prenais des médicaments à volonté en cachette, au début pour me sentir mieux. Puis, j’ai commencé à fumer du cannabis de plus en plus régulièrement, une descente aux enfers plutôt rapide. J’ai fini par ne plus me reconnaître. Honteuse et me sentant incomprise, je me suis renfermée sur moi-même, ne demandant ni n’acceptant plus aucune aide.
Je suis devenue une boule de colère. Mon amie a décidé de me mettre dehors, la situation devenait trop toxique pour elle. Une éducatrice m’a alors prise en charge, j’ai été placée en centre d’hébergement d’urgence. Me voilà dans un lieu stable, entourée de personnes comme moi : sans maison, avec les mêmes problématiques. Mais le sentiment de solitude était toujours aussi profond. L’alcool, les fêtes remplies de drogues, c’était un cercle vicieux. La rentrée scolaire approchant à grande vitesse (j’avais tout de même obtenu mon bac avec mention), c’est là qu’est venue la prise de conscience : Betty, tu rentres en études sup, comment tu vas faire si tu continues comme ça ?
Accepter de l’aide
Me voilà devenue étudiante en première année d’éducateur spécialisé, quelle fierté ! Maintenant, j’allais pouvoir aider là où je ne l’avais pas toujours été. Mais comment payer mon loyer, de la même somme que ma bourse, avec les APL qui mettaient un temps fou à prendre en compte mon dossier ?
Je me revois vider les cendriers des bars où je suivais mes camarades tous les jours après nos cours, pour récupérer le peu de tabac que je trouvais et me rouler des clopes une fois rentrée dans mon appartement vide. La routine s’est installée avec un ami : il m’offrait une pinte avec des excuses bidons, que j’ai fini par apprendre à accepter. Il avait compris que, grâce à ce geste, je me sentais un peu moins anormale, assise avec une pinte à la main. Il me payait aussi mon repas du midi avec ses tickets resto.
Au début, tout était tout beau tout rose. Un appartement à moi trouvé par l’intermédiaire de l’école, une formation pour aller vers le boulot de mes rêves, quasiment plus dépendante aux drogues (seulement à l’alcool). Dans mon appartement meublé à l’essentiel, je me retrouvais tous les soirs confrontée au vide. Encore heureux, il y avait un matelas.
Il restait une tâche au milieu du tableau : comment me faire de l’argent en parallèle de mes études ? Trop épuisée par les mois passés à la rue, je me sentais incapable de fournir le moindre effort après les journées de cours qui me paraissaient interminables. Une fois la situation examinée, pas le choix, je devais travailler. Baby-sitting jusqu’à pas d’heure, travail au black en restauration par-ci par-là…
L’épuisement jusqu’au diagnostic
J’ai atteint le burn-out, me suis retrouvée hospitalisée. Après un mois à l’hôpital, le diagnostic est posé : borderline. C’est-à-dire une tendance à l’instabilité et l’hypersensibilité. Instabilité au niveau de l’humeur, de l’image de soi et impulsivité avec de grosses tendances suicidaires. J’ai continué ma vie, les galères financières, les boulots à gauche à droite. Puis le deuxième burn-out est arrivé, la deuxième hospitalisation aussi. Quand allais-je sortir de cet enfer ?
En parallèle, se préparait ma demande de pension alimentaire. Action en justice qui a mis plus d’un an à aboutir. Après ce parcours, c’était enfin statué : j’avais le droit à 680 euros par mois de la part de mes parents. Alors sortie de ces galères, je me suis dit que j’allais enfin pouvoir souffler !
Mais là, troisième burn-out. Celui-ci lié aux façons dont on traite les stagiaires… Comme lâchée dans la gueule du loup, je me suis retrouvée dans une structure qui ne m’a pas laissé ma chance. Ça a mené à une altercation avec un éducateur. Je n’étais pas désirée sur ce terrain de stage.
Prendre du temps pour moi
Alors, début janvier, j’ai quitté la structure après une conversation avec ma cheffe de service. Ça a été une claque, ça m’a poussée à mettre un terme à ma deuxième année d’études. Quasiment plus aucune chance de trouver un stage en cours d’année, malgré des appels passés dans toute l’Île-de-France. Cette fois-ci, j’ai dit stop. Envahie par le stress des recherches, j’ai décidé d’entamer une année de césure pour mon bien-être personnel.
Maintenant, je prends du temps pour moi. Je me retrouve à chercher un emploi, mais la charge mentale dont je me suis libérée en vaut la chandelle. Je ne me lève plus le matin avec la boule au ventre. On peut dire que le plus dur est passé, plus de jugement, plus de galère financière. Enfin bref, la tempête commence à prendre une allure d’éclaircie.
J’ai longtemps été dans la culpabilité d’avoir été cette enfant difficile, violente verbalement et en colère contre le monde. Mais une fois le diagnostic posé de mon trouble borderline, j’ai enfin pu faire la paix avec moi-même et me rendre compte que je n’étais pas responsable de qui j’étais, que je n’étais à l’époque qu’une enfant malade dans une famille dysfonctionnelle.
Betty, 20 ans, étudiante en année de césure, Paris